Les Etats-Unis ouvrent leur ambassade à Jérusalem, inauguration à haut risque

Les Etats-Unis inaugurent lundi après-midi à Jérusalem leur ambassade en Israël, réalisant la promesse controversée du président Donald Trump au risque d'enflammer les passions des Palestiniens qui pourraient protester massivement dans les Territoires, surtout à Gaza.
par
Laura
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Ivanka Trump et Jared Kushner, la fille et le gendre et conseillers du président américain, prendront part à partir de 16H00 (15H00 HB) avec des centaines de dignitaires des deux pays à la cérémonie saluée comme "historique" par Israël et largement perçue comme défiant la réprobation de la communauté internationale dans une période de grande inquiétude pour la stabilité régionale.

Réclamation

A quelques dizaines de kilomètres de là, des centaines de Palestiniens ont commencé à prendre la direction de la frontière israélienne dans la bande de Gaza avec, pour certains, l'intention proclamée de tenter de forcer au péril de leur vie la barrière de sécurité. Les manifestants ont entrepris de rassembler des pneus qu'ils enflammeront pour créer des écrans de fumée.

L'armée israélienne a dispersé par les airs des tracts mettant en garde les Gazaouis. "Vous prenez part à des rassemblements violents au risque de votre vie (...) Ne laissez pas le Hamas, de la manière la plus cynique, se servir de vous comme ses jouets", dit-elle en prévenant qu'elle ne permettra pas qu'on s'en prenne à la barrière, aux soldats ou aux civils israéliens riverains du territoire.

L'armée israélienne s'attend à des dizaines de milliers de contestataires et redoute un enfoncement de la barrière de sécurité. Elle a pratiquement doublé ses effectifs combattants autour de l'enclave et en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël où sont annoncés des rassemblements, de moindre ampleur a priori. Des milliers de policiers israéliens sont mobilisés dans tout Jérusalem, et un millier autour de l'ambassade et ses alentours dans le quartier périphérique et verdoyant d'Arnona.

Rupture

Concrétisant un engagement de campagne, le transfert de l'ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem constitue une rupture de plus avec, en l'occurrence, des décennies de diplomatie américaine et de consensus international. Le statut de Jérusalem est l'une des questions les plus épineuses de l'insoluble conflit israélo-palestinien.

La décision américaine comble les Israéliens comme la reconnaissance d'une réalité de 3.000 ans pour le peuple juif. Elle coïncide avec le 70e anniversaire de la création de l'Etat d'Israël, en pleine effusion nationale et ferveur pro-américaine. "Jérusalem restera la capitale d'Israël quel que soit l'accord de paix que vous imaginiez", a affirmé dimanche le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'une réception devant Ivanka Trump et Jared Kushner.

Mais l'initiative unilatérale américaine ulcère les Palestiniens pour lesquels elle représente le summum du parti pris outrancièrement pro-israélien affiché par M. Trump depuis son intronisation en 2017. Ils y voient la négation de leurs revendications sur Jérusalem.

Saëb Erekat, haut responsable palestinien, a dénoncé lundi "un acte d'hostilité notoire contre le droit international et le peuple de Palestine, plaçant les Etats-Unis du côté de la force occupante, Israël". Israël s'est emparé de Jérusalem-Est en 1967 et l'a annexée. Tout Jérusalem est sa capitale "éternelle" et "indivisible", dit-il. Les Palestiniens veulent faire de Jérusalem-Est la capitale de l'Etat auquel ils aspirent. La sensibilité du sujet est exacerbée par la religion. Jérusalem est sainte pour musulmans, juifs et chrétiens.

M. Trump a fait voeu de présider entre Israéliens et Palestiniens à l'accord diplomatique "ultime". En annonçant le 6 décembre reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, il a voulu favoriser la recherche de la paix en "retirant Jérusalem de la table", dit-il.

Décision condamnée par l'ONU

Pour la communauté internationale, Jérusalem-Est reste territoire occupé et les ambassades ne doivent pas s'installer dans la ville tant que le statut n'en a pas été réglé par la négociation entre les deux parties. Le chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a appelé dimanche au jihad contre les Etats-Unis affirmant que la décision de Washington était la preuve que les négociations et "l'apaisement" n'ont pas servi aux Palestiniens.

Des 193 pays composant l'Assemblée générale de l'ONU, 128 ont condamné la décision américaine, dont des alliés des Etats-Unis comme la France et le Royaume-Uni. Le vote a provoqué la fureur de Washington et les menaces de rétorsion de son ambassadrice à l'ONU, Nikki Haley.

Le tollé soulevé par l'initiative unilatérale américaine semble être retombé. Jérusalem est pavoisée de drapeaux israéliens et américains et d'affiches proclamant "Trump Make Israel Great Again" ou "Trump is a Friend of Zion". Mais l'inauguration de l'ambassade, provisoirement installée dans les locaux de ce qui était le consulat américain en attendant la construction d'une nouvelle représentation, a lieu dans une période éminemment sensible.

"Marche du retour"

Les Palestiniens perçoivent comme une "provocation" la date choisie, précédant de 24 heures les commémorations de la "Nakba", la "catastrophe" qu'a constitué la création d'Israël pour des centaines de milliers d'entre eux chassés ou ayant fui de chez eux en 1948.

Gaza est depuis le 30 mars le théâtre d'une "marche du retour" qui voit des milliers de Palestiniens se rassembler le long de la frontière et qui met l'armée israélienne sur les dents.

Depuis cette date, 54 Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne. Israël accuse le mouvement islamiste Hamas, qui dirige le territoire et auquel il a livré trois guerres, d'instrumentaliser les protestataires et de chercher à l'attaquer sous couvert de manifestations faussement pacifiques. L'armée israélienne, en butte aux accusations d'usage excessif de la force, dit ne tirer à balles réelles qu'en dernier recours.