Grand Corps Malade, poète engagé

Après cinq albums, un livre autobiographique ‘Patients', et son adaptation cinématographique qui lui a valu quatre nominations aux César, le slameur à la plume d'or, de son vrai nom Fabien Marsaud, revient délivrer sa poésie dans un sixième opus intitulé ‘Plan B'.
par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Pourquoi avoir nommé votre album ‘Plan B'?

«Je trouvais que c'était un dénominateur commun de plein de morceaux de l'album. La vie est souvent une succession de plans B. Ça ne marche pas toujours exactement comme on l'avait prévu. Au-delà de l'expression, toute cette ‘carrière musicale', c'est un plan B pour moi qui voulais, à la base, faire du sport.»

Dans ‘Acouphènes', vous dites d'ailleurs ne plus craindre de «rouvrir des cicatrices» en parlant du basket. Vous avez fait le deuil à travers cet album?

«Non, pour le coup, le deuil a été fait depuis longtemps mais je n'avais jamais trouvé la bonne manière d'en parler. C'est la première fois que j'aborde vraiment le basket dans des chansons. Mais déjà dans le livre ‘Patients', en 2012, je l'abordais très sereinement.»

«Un stylo, des métaphores», comme vous le slamez, c'est ce qui vous a sauvé?

«Non. J'ai toujours essayé d'éviter ce truc un peu trop mélo de dire que je me suis relevé grâce à la poésie. J'ai eu mon accident en 1997 et j'ai découvert le slam en 2003. Pendant ces six années, j'avais le moral, j'avais des potes, un travail. Mais ça a évidemment été un virage extrêmement important. Ça m'a permis de retrouver une passion.»

Vous êtes néanmoins nostalgique.

«J'ai toujours été nostalgique. À chaque étape de ma vie, je suis nostalgique des époques précédentes. Mais comme je le dis dans ‘Acouphènes', ce n'est pas une nostalgie qui me plombe le moral mais qui me nourrit. Ça ne m'empêche pas d'avancer, au contraire, ça rythme ce que je fais aujourd'hui.»

Dans ‘Poker', vous prouvez une fois de plus la facilité avec laquelle vous arrivez à poétiser une situation banale de la vie. Ça vous touche qu'on vous qualifie de poète?

«Ça me plaît beaucoup, je trouve ça très noble, j'essaie d'être digne de ce mot-là. Pour moi, le slam, c'est de la poésie à l'oral. J'essaie de poétiser des situations très banales du quotidien et j'ai l'impression que c'est ça qui touche les gens. Le texte qui a beaucoup marché récemment en France, c'est ‘Dimanche soir' dans l'émission de Ruquier [‘On n'est pas couché» diffusée le 17 février, NDLR] qui a été vue des millions de fois. C'est un texte très personnel que j'ai écrit au bout de dix ans de vie commune avec ma femme. J'aime bien dire que le slam, c'est de la poésie de proximité.

Dans la chanson ‘Au feu rouge', vous vous mettez à la place d'une réfugiée syrienne. C'est votre manière d'éveiller les consciences?

«Je trouvais qu'on parlait très peu d'eux en tant qu'êtres humains, de leur parcours, d'où ils viennent. Ils n'ont pas choisi d'être à un feu rouge. Ils avaient des métiers, une vie installée. Ils ont fui la guerre. Je voulais avant tout leur rendre cet hommage, leur part de dignité, d'humanité et puis après tant mieux si ça interpelle un peu.»

Vous vous êtes également mis au chant sur le titre ‘Tu peux déjà' en hommage à votre deuxième enfant.

«Oui comme le deuxième passe en deuxième position pour tout un tas de choses, il avait la primeur de me faire vraiment chanter.»

Comment avez-vous vécu l'expérience?

«J'avais commencé à chanter sur la tournée précédente, ça a démarré naturellement. J'aime bien même si le slam reste ma manière de m'exprimer. Et puis l'écriture est différente aussi. Mais c'est quand même une ouverture intéressante.»

Vous avez démocratisé le slam en France. Qu'est-ce qui fait que ce style musical a autant de mal à percer?

«C'est comme une espèce de spirale négative. Même si je suis invité dans les émissions je ne suis sur aucune playlist de radio. Le slam n'est pas entré dans le paysage commercial musical.

Dans ‘1000 vies', vous expliquez avoir «plusieurs cordes» à votre stylo. Vous n'avez jamais pensé à décliner votre art sous forme d'ouvrage poétique?

«Non, j'ai vraiment cette culture orale. Mes références sont Brel, Barbara, Renaud ou Brassens. Ce dernier est pour moi l'un des plus grands poètes de tous les temps. Il a des textes d'une précision, avec des références, des images, qui n'ont absolument rien à envier aux plus grands poètes comme Rimbaud et Verlaine.»

Le rap, ça ne vous a jamais tenté?

«Je fais des textes. Des fois, je les chantonne un peu. La plupart du temps, je les scande. Donc au final j'ai l'impression que j'ai déjà fait un peu de rap. Quand Kery James ou Diam's faisaient du piano-voix à l'époque on aurait pu appeler ça du slam. En tout cas, je me sens très proche de ce que fait un Orelsan. C'est du texte sur de la musique.»

Vous préparez actuellement un deuxième film qui parlera d'école de banlieue. Est-ce aussi un film autobiographique?

«Non beaucoup moins. Avec Mehdi Idir, qui était le co-réalisateur de ‘Patients', on était tous les deux à Saint-Denis en ZEP (Zone d'éducation prioritaire, NDLR) donc on va évidemment s'appuyer sur ce que l'on a vécu. On s'inspire de notre passé mais on est aussi allés voir la situation sur le terrain car les problématiques ont changé.»

Pourquoi ce sujet?

«J'ai déjà pas mal parlé d'éducation dans mes textes mais c'est surtout le constat amer d'une éducation à deux vitesses. C'est quand même dramatique de se dire qu'un gamin de six ans qui rentre à l'école ne va pas avoir les mêmes chances qu'un autre qui habite les beaux quartiers. L'école de la République devrait pourtant donner la même chance aux enfants. Du coup, ça m'interpelle, m'interroge, m'intéresse. Avec ‘Patients', j'avais envie que les gens apprennent ce que c'est que la vie d'un tétraplégique au quotidien. Le but était de raconter un univers qu'on connaît peu et dont on ne s'intéresse pas trop parce que ça fait un peu peur. Donc là on va essayer de raconter la vraie vie dans un collège.»

Grand Corps Malade sera en concert lors du festival Esperanzah le 5 août prochain et en tournée à l'automne.

Laura Sengler