Olivier Norek pour l' "Entre deux mondes": La triste réalité de ces hommes-fantômes

Olivier Norek revient avec un quatrième polar qu'il situe, cette fois-ci, dans la «jungle» de Calais. «Entre deux mondes» nous décrit la réalité violente qu'ont vécue les migrants dans ce camp.
par
Maite
Temps de lecture 5 min.

Pourquoi avoir situé votre intrigue à Calais et autour de la problématique des migrants?

«C'est une problématique récurrente, qui ne s'arrêtera jamais. La prochaine crise concernera la migration climatique. Et ça, ça sera encore autre chose. Si on n'arrive déjà pas à faire face à l'afflux des migrants actuels, comment pensez-vous que nos politiques réagiront quand des millions de migrants climatiques arriveront chez nous?»

Pourquoi la «jungle» et pas un autre camp?

«Un jour, j'entendais à la télévision parler de cette vague migratoire et de la ‘jungle', et j'ai eu peur. Je me demandais comment on pouvait s'en sortir, si c'était une invasion. Je n'en suis pas fier. Et puis, je me suis souvenu que le monde était fait de mouvements migratoires et surtout, que mon nom, c'est Norek, un nom polonais. J'ai donc pris mon sac à dos pour me rendre dans la jungle de Calais, qui était géographiquement accessible. Toutes les peurs et les phobies sont basées sur les ignorances. Je devais me faire ma propre opinion. Dans la ‘jungle', j'ai été directement accueilli par la partie soudanaise du camp.»

Notre avis

C'est une nouvelle fois un vrai polar comme on les aime que nous livre Olivier Norek, ancien lieutenant de police. «Entre deux mondes» a tous les ingrédients d'un livre policier: on y retrouve des retournements de situation, des coups de théâtre, une palpitante enquête, un meurtre intriguant, etc.

Mais avec ce roman, l'auteur apporte une dimension supplémentaire: il décrit avec précision le quotidien des migrants de la ‘jungle' de Calais, de la police de la ville, des habitants, des bénévoles et des journalistes.

Pour ce faire, l'auteur ne s'est pas seulement documenté, il a vécu cette triste réalité de l'intérieur. Tout est vrai dans ce roman. Même l'enquête, bien que romancée, est basée sur des faits réels. Un roman à se procurer au plus vite. 4/5 (mh)

«Entre deux mondes», d'Olivier Norek, éditions Michel Lafon, 409 pages, 19,95€

Le personnage d'Oussmane est l'un de ces Soudanais qui vous a protégé.

«Oussmane est un personnage réel. Il m'a appelé ‘military man', comme mon personnage le fait pour Adam dans mon livre. Il a vu dans mes yeux que je n'étais pas là pour juger. J'avais juste besoin de comprendre ce qui se passait. On ne s'est pas quittés durant les trois semaines où j'étais dans la ‘jungle'.»

Vous avez également suivi les policiers lors de leur patrouille.

«J'ai fait une enquête assez schizophrénique car le jour, j'étais avec les migrants dans la ‘jungle' et le soir, je suivais les policiers pour voir leur travail. C'est un sujet si compliqué qu'il faut avoir toutes les optiques pour ne pas déraper, pour ne pas prendre le parti de quelqu'un. Je ne voulais pas que ça soit un livre pro-flic ou pro-migrant. Je voulais donner assez d'éléments aux lecteurs pour qu'ils se fassent leur propre opinion.»

Lorsque vous êtes avec les policiers, vous vous rendez compte qu'ils sont tiraillés entre leurs devoirs et obligations d'un côté et la triste réalité des migrants de l'autre.

«Complètement. Ils doivent tirer de la lacrymo sur les migrants pour les empêcher de monter dans les camions. Quand j'étais avec eux, je les ai vus blessés, heurtés. C'est un métier tellement compliqué. Dans l'équipe, deux sont tombés en dépression et un troisième a fait une tentative de suicide. Le chef garde pourtant sa même équipe. Pourquoi? Car il préfère avoir une équipe qui n'aime pas faire ça. Car si son équipe aime faire ça, elle court à la bavure. Ici, les policiers sont des hommes, des pères, des frères, qui savent que ce qu'ils font, ce n'est pas la bonne solution. Mais ils doivent le faire quand même pour protéger le transport routier, qui est important pour l'économie de Calais.»

Comment se sont passées les trois semaines à Calais?

«Quand vous restez deux-trois jours, les migrants pensent que vous êtes journaliste ou que vous travaillez pour les renseignements généraux. Mais quand vous êtes là depuis trois semaines, que vous en êtes à votre troisième barbecue que vous organisez, ils réalisent bien que vous n'êtes pas un danger. Les langues se délient.»

Vous décrivez aussi l'ambiguïté de l'administration française, qui ne s'est pas occupée des migrants de la ‘jungle'.

«Ils sont dans une sorte de catégorie que l'on appelle ‘réfugié potentiel'. Comme ils sont réfugiés, on ne peut pas les arrêter et comme ils sont potentiels, on ne va pas les aider non plus. Le policier de mon livre dit qu'on a dépensé beaucoup d'énergie à savoir comment ne rien faire.»

En réalité, ces migrants ne veulent pas rester en France. Ils veulent rejoindre le Royaume-Uni, «Youké» comme ils disent.

«Ils n'arrivent pas à comprendre pourquoi les Français ne les laissent pas partir. La frontière de l'Angleterre, en réalité, est en France. C'est donc à la France à gérer le flux migratoire vers l'Angleterre. Et les Anglais paient beaucoup pour ça. Dernièrement, ils avaient payé à la France des barbelés qui ont été imaginés pour l'homme. Ce n'est pas un barbelé qui pique, c'est un barbelé qui tranche la chair. On en est là… On pense à énormément de choses, sauf à aider ces migrants.»

Par contre, vous montrez la solidarité des Calaisiens face à ces personnes dans le besoin.

«Chez vous, il y a la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Chez nous, l'association la plus active dans la ‘jungle' est calaisienne. Elle s'appelle ‘Care for Calais'. Pourtant il faut savoir qu'à Calais, la crise migratoire a fait diminuer le tourisme, fermer des magasins… Les Calaisiens ont été touchés de plein fouet par la ‘jungle'. Ils auraient pu agir de manière négative. Malgré cela, il y a eu de la générosité, de la bonté chez les premiers touchés par la ‘jungle'.»