Romain Slocombe : La sombre étoile de la France
Votre personnage est encore plus infâme.
«Et je pense qu'il va le devenir de plus en plus. Je veux montrer ce que fait le fascisme sur les gens. Ça extrait finalement le pire des gens. Peut-être aussi le meilleur de ceux qui résistent. Mais le fascisme fait ressortir les pires sentiments pour beaucoup. Je veux faire plusieurs volumes sur l'occupation de Paris par les Allemands et sur les actions de l'administration française contre la population juive par les policiers français. Je veux suivre Léon jusqu'à la fin de la guerre. Il va donc devenir de pire en pire. Mais c'est un personnage complexe. Il n'est pas entièrement noir.»
Vous montrez comment toute une société devient de plus en plus antisémite.
«Elle a été très travaillée par l'antisémitisme. Il faut comprendre aussi que les Français se sont dédouanés. Pourtant l'antisémitisme français est plus virulent et plus ancien que l'antisémitisme allemand. Ça date du 19e siècle. Ily a eu par exemple l'affaire Dreyfus qui a divisé les Français pendant des années. Le contrecoup de la Première Guerre mondiale. Au début des années 30, la population juive en France avait quasiment doublé. Ajoutez à cela la pauvreté et vous avez les bouc-émissaires. Les juifs étaient considérés comme riches. Même une partie de la gauche française était antisémite. Elle considérait que tous les juifs étaient des Rothschild.»
On fait même des amalgames. Tous les résistants deviennent, aux yeux des antisémites, des résistants.
«Il y avait beaucoup de juifs communistes. En Russie d'ailleurs. La droite donnait toujours le nom de judéo-bolchévique'. C'était extrêmement courant. Puis ça a été mélangé aux gaullistes. C'est une sorte d'ennemi à double visage, ce sont les deux faces de la résistance. Je me suis beaucoup intéressé à la résistance communiste. Les jeunes communistes, dès l'entrée des troupes d'Hitler en Russie, se lancent dans la lutte armée.»
Dans votre roman, on se rend compte que très vite les Parisiens parlent d'un débarquement qui aurait lieu en Normandie.
«Quand on consulte la presse de l'époque ou quand on lit les journaux intimes des personnes, on voit que le débarquement est attendu dès 1942. Tout le monde l'espère. Ce n'est pas vu comme quelque chose d'invraisemblable.»
Ce qui dérange votre personnage qui doit changer ses plans pour les vacances.
«Oui en effet, ça lui cause des soucis pour ses vacances personnelles (sourire).»
Ce que vous montrez, c'est que malgré la guerre, les gens voient avec tous leurs petits problèmes quotidiens.
«Le gros problème pour les Français, c'est le ravitaillement. Ceux qui avaient de l'argent pouvaient aller au marché noir. Par contre, pour ceux qui n'en avaient pas, c'était très dur. Les produits devenaient de moins en moins disponibles, les queues devant les magasins étaient de plus en plus longues. Et à côté de cela lorsque l'on regarde les agendas, les vacances des enfants avaient toujours lieu. Mais réserver un train était plus compliqué.»
Léon Sadorski, lui, pour avoir tout ce qu'il veut, il n'hésite pas à se servir.
«On est de la police alors on se croit tout permis. Il n'ose juste pas utiliser sa carte de police quand il s'agit de vacances. Il dit que les vacances sont tellement sacrées pour les Français qu'il se ferait lyncher s'il faisait ça (rires). Mais la plupart du temps, il utilise sa carte pour passer devant tout le monde. Les gens avaient extrêmement peur de la police, qui avait un pouvoir énorme. On pouvait se retrouver au commissariat pour une bêtise et finalement être fusillé car vous étiez tombé le jour où les Allemands exigeaient qu'on tue 200 otages.»
Pour imaginer ce personnage, vous vous êtes inspiré d'un personnage réel.
«Ce que le personnage réel, Louis Sadosky, faisait d'extrêmement salaud, c'est qu'il notait sur toutes les fiches des juifs qu'il arrêtait le mot communiste'. Tout simplement pour se faciliter le travail quand les Allemands réclamaient des listes d'otages à fusiller. C'est ce que fait également Léon.»
"L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski», de Romain Slocombe, édition Robert Laffon, 592 pages, 21,50 3/5