La cigarette toujours bien présente à la télévision

La cigarette est on ne peut plus présente en télévision. Le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA) s'est penché à la demande de la Fondation contre le cancer sur sa représentation dans la fiction. Nos héros sont-ils les hommes-sandwiches de l'industrie du tabac ?
par
Nicolas
Temps de lecture 4 min.

La publicité pour les produits du tabac est interdite depuis 1997. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a plus de fumeurs sur nos écrans. Le tabac est présent dans une fiction sur cinq, relève le CSA dans son étude qui a passé en revue 148 programmes de fiction diffusés sur huit chaînes francophones (La Une, La Deux, La Trois, RTL-TVi, Club RTL, Plug RTL, France 2 et TF1). Avec cette analyse commandée par la Fondation contre le cancer, le régulateur francophone a souhaité étudier l'image de la cigarette à la télévision.

Le mâle qui tue

Les chercheurs du CSA ont ainsi pu établir le profil du fumeur télévisuel (cf. illustration) mais aussi esquisser le contexte dans lequel les personnages de fiction -des hommes huit fois sur dix- aiment «s'en griller une». L'étude détermine deux tendances : la cigarette, c'est social et ça déstresse. «Bien souvent, le personnage fume une cigarette pour évacuer une certaine nervosité et se sentir mieux», relève Joëlle Desterbecq, qui a dirigé l'étude pour le CSA. Dans les séries et les films analysés, le comportement tabagique peut aussi être souvent associé à un trait de caractère positif (sûr de soi, calme, déterminé, etc.). Bien souvent également les scènes où le tabac est présent sont le plus souvent pesantes, et une fois sur trois, dans un contexte de pouvoir (pression, rapport de force, négociation,...).

La cigarette apparaît comme un outil symbolique de domination, ou en tout cas d'un objet apportant un avantage psychologique.

Sensibiliser

Une fois ces constats posés, que faut-il en conclure ? La Fondation contre le Cancer s'interroge sur une présence prépondérante du tabac alors que sa publicité commerciale est interdite depuis 1997. En d'autres termes, y a-t-il un lobby de l'industrie tabagique pour maintenir la présence importante de la cigarette à l'écran ? L'étude du CSA de permet de répondre précisément à cette question (lire ci-dessous) d'autant que le champ d'action du CSA est limité au territoire francophone belge et aux productions de la Fédération.

«Il faut préciser d'abord que notre objectif n'est pas d'interdire totalement toute présence de tabac à l'écran», déclare le docteur Didier Van Steichel, directeur général de la Fondation contre le Cancer. «Le but n'est pas de placer un cache noir devant chaque cigarette visible dans les documentaires ou les œuvres de fiction du passé.» La sensibilisation du secteur audiovisuel reste le premier objectif.

En France, on se souvient des situations frôlant le ridicule. Des affiches du film sur Gainsbourg avaient été interdites dans l'espace public. La pipe emblématique de M. Hulot avait disparu de celles annonçant une rétrospective sur Jacques Tati. Dans le pays où Magritte a fait d'une pipe une œuvre d'art, on n'en est pas là.

«Notre objectif est de conscientiser le secteur audiovisuel»

L'étude menée par le CSA n'est qu'un premier tableau chiffré d'un échantillon précis. Mais pour Joëlle Desterbecq, conseillère au Conseil supérieur de l'Audiovisuel qui a dirigé la recherche, elle permet de soulever des questions en ce qui concerne la protection des consommateurs et des mineurs.

Cette étude permet-elle de pointer des manquements voire des infractions ?

«Non. Par le seul visionnage de fictions, il est difficile de déterminer l'existence d'un placement produit clandestin. L'objectif du CSA avec cette première analyse était surtout de poser le constat et de le quantifier. Cependant, même si rien n'est tranché, l'étude permet de soulever des questions intéressantes quant à la protection des consommateurs et aussi des mineurs.»

Quelle est la marge de manœuvre du CSA francophone dans ce domaine ?

«L'interdiction générale de la publicité pour le tabac en vigueur depuis 1997 relève du niveau fédéral. Mais elle est incluse aussi dans la directive européenne des services et médias audiovisuels (dite directive SMA). Cette disposition a été transposée dans le décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles concernant l'audiovisuel. Le CSA est aussi compétent pour le placement produit. Nous pouvons donc agir dans ce secteur mais dans un souci de co-régulation.»

C'est-à-dire ?

«Notre objectif est de conscientiser le secteur audiovisuel. Nos conclusions pourraient ainsi être soumises au Centre du CInéma et de l'Audiovisuel pour sensibiliser au rôle des scénaristes sur ces questions. Nous ne pouvons bien évidemment pas contraindre la liberté créative des scénaristes mais on peut les conscientiser.»

Quant à la protection des mineurs, que recommandez-vous ?

«Encore une fois, rien n'est tranché. Mais on constate que les fictions accessibles aux plus jeunes comportent des scènes où le tabac est présent. La question de la signalétique se pose. Le classement par âge tient compte des scènes à caractère violent ou sexuel mais pas de la présence du tabac. La question est en tout cas posée.»