Être homosexuel en Tchétchénie, la mort ou l'exil

Fin mars, une enquête du journal indépendant Novaïa Gazeta a révélé que les homosexuels sont la cible des autorités locales. Ces accusations sont d'autant plus prises au sérieux que les milices du président Ramzan Kadyrov sont accusées depuis des années d'exactions et d'enlèvements.
par
Gaelle
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Selon le journal, les autorités ont arrêté plus de 100 homosexuels et incité leurs familles à les tuer pour "laver leur honneur". Au moins deux personnes ont été assassinées par leurs proches et une troisième est décédée d'actes de torture.

Ilia, homosexuel tchétchène de 20 ans a fui en Russie

Ilia a été battu et torturé par des hommes en uniforme militaire, cet homosexuel a fui à Moscou où il vit la peur au ventre. "En Tchétchénie, j'avais le choix entre mentir ou mourir", résume-t-il.

Désormais, il se cache dans une petite maison en briques rouges de la banlieue moscovite, qu'il partage avec cinq autres tchétchènes ayant, eux aussi, quittés précipitamment la petite république musulmane du Caucase russe.

Tous refusent de révéler leur véritable identité par peur d'être identifiés et traqués. "Si un de mes proches apprend que je suis homosexuel, il n'hésitera pas une seconde à me tuer", explique l'un d'entre eux. "Et s'ils ne le font pas, alors ils se feront tuer pour ne pas avoir rétabli l'honneur de la famille".

Même s'il est à plus de 1.800 km de Grozny, Ilia continue de sursauter à chaque fois qu'une voiture s'approche de la maison. "En m'aidant, la Ligue m'a donné un sursis, mais on finira par me retrouver", murmure-t-il.

En octobre, il a été emmené dans un champ et battu par trois hommes en uniforme militaire. Une immense cicatrice balafre le bas de son visage. "Ils ont tout filmé. Ils m'ont dit que ça finirait sur les réseaux sociaux si je ne payais pas 200.000 roubles (3.350€). Je me suis endetté et j'ai payé", raconte-t-il, la voix nouée. Il a ensuite fui pour Moscou. "Des militaires sont venus voir ma mère et lui ont révélé que je suis homosexuel", confie Ilia. "Je suis terrifié. Je n'ai pas réussi à dormir depuis que je suis parti de Grozny".

Les arrestations d'homosexuels "pas confirmées" selon le Kremlin

Suite à ces accusations, M.Kadyrov, le président Tchétchène, a été convoqué par le président russe, Vladimir Poutine. Lors de cet entretien, M. Kadyrov a démenti toute exaction envers les homosexuels, qualifiant les articles de "provocateurs". Son porte-parole assure, lui, que les gays "n'existent pas" dans la république.

Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov a estimé que les accusations ne se confirment pas. "Malheureusement ou heureusement, il n'y a jusqu'à présent aucune confirmation concrète". Il a tout de même précisé qu'une enquête était en cours.

Officiellement, l'enquête a été ouverte lundi par le Parquet général. Mais les enquêteurs disent n'avoir reçu "aucune plainte officielle" de victime. "Qui sont ces gens? Où ils vivent? Ce sont des plaintes de fantômes!", s'est insurgé M. Peskov.

De vives réactions à l'étranger et aux Etats-Unis

Un peu plus tôt ce mois-ci, de nombreux sites d'opposition au Kremlin s'étaient déjà manifestés. D'après eux, la Tchétchénie utiliserait des camps de concentration où elle torturerait des homosexuels avec de l'électricité. Certains seraient libérés à la seule condition de ne plus jamais revenir sur le territoire. Amnesty Internationnal s'est récemment intéressée à ces faits et souhaiterait ouvrir une enquête.

La parution de ce reportage, a également suscité une vague d'indignation, dont celle de l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, qui s'est dite lundi "troublée" par ces informations.

Deux sénateurs américains ont dénoncé lundi des violences présumées contre des homosexuels en Tchétchénie et interpellé le président russe Vladimir Poutine, accusé de laisser faire le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov. "Le comportement dur et inhumain du président tchétchène Ramzan Kadyrov est bien connu, il a créé un climat de terreur pour les individus LGBT", d'après le démocrate Ben Cardin.

À droite, le sénateur républicain Thom Tillis, membre de la commission de la Défense, a lui aussi dénoncé M.Poutine et Kadyrov. "Les responsables tchétchènes kidnappent et torturent des hommes gays. Je condamne cette violation des droits de l'homme", a-t-il déclaré sur Twitter.

Des pays de contrôle

En Russie, comme en Tchétchénie la censure est monnaie courante. Pour informer librement certains journalistes fuient. Par exemple, le journal Meduza s'est installé en Lettonie. Malgré tout, en mai 2016 un de leur journaliste Ilya Azar, a été emprisonné pour « terrorisme » alors qu'il était en reportage. Quelque chose de courant en Tchétchénie,  « Je m'inquiète beaucoup pour les collègues restés sur place », a déclaré le journaliste Alexander Borzenko. Malgré ce contrôle permanent et dictatorial Alexander Borzenko tente de vulgariser et propager une information écartée par les médias pro-Kremlin.