Philippe Besson raconte son premier amour tenu secret durant près de 30 ans

Dans «‘Arrête tes mensonges'»,Philippe Besson raconte, pour la première fois, son premier amour de jeunesse. Comme tout premier amour, cette rencontre aura des répercussions tout au long de sa vie, et même des conséquences directes dans son écriture. L'auteur nous livre un roman autobiographique sensible et émouvant à se procurer au plus vite.
par
Maite
Temps de lecture 7 min.

Dans les interviews, vous dites souvent que vous n'écrivez pas sur votre vie. Au final, quand on lit ce roman, on comprend que vous avez toujours un peu écrit sur vous, de manière inconsciente.

«Aucun écrivain, romancier ne peut écrire en faisant totalement abstraction de ses vérités intimes. Cela supposerait une sorte de froideur ou de distance ou d'ultraobjectivité qui sont impossibles. Forcément, on met de soi dans chacun des livres que l'on écrit. Et on en met d'autant plus que les romans nous permettent d'avancer masqués, dissimulés. Quand on invente un personnage, une histoire, on peut toujours faire valoir que ce n'est pas soi ce personnage. Aujourd'hui, par contre, j'ai enlevé le masque. Je dis la vérité pour la première fois. Et je devais tout dire, et dire clairement les choses.»

Grégoire Delacourt nous disait la semaine passée qu'imaginer un personnage était aussi une manière de prendre de la distance sur sa propre vie et de s'autoanalyser.

«Quand on écrit un roman, on fait d'abord appel à son imaginaire. Mais quand on écrit un livre comme celui-ci, on fait appel à sa mémoire: une mémoire sélective, recomposée ou fantasmatique… de la mémoire en tout cas. Ça veut dire qu'on est face à sa propre histoire et face à soi. Il y a de l'auto-convocation de sa mémoire et de l'autoanalyse. Du coup, passe au premier plan la nécessité de ‘faire littérature': trouver son style, sa langue, son rythme d'écriture. Car ici, l'histoire préexiste au livre. C'est ça qui est intéressant. Cela m'a troublé. Mais c'est, en même temps, plus facile.»

Notre avis

Dans ce nouveau roman -autobiographique-, Philippe Besson nous raconte le commencement, son commencement. Il nous conte, avec beaucoup d'émotion, son premier amour, tenu secret jusqu'à aujourd'hui. Secret... pas vraiment! À la lecture de ce livre, on se rend compte qu'au fil de ses romans, l'auteur ne nous l'avait, en réalité, pas vraiment caché.

Thomas Andrieu avait même été le nom du personnage principal de l'un de ses romans. Il a également été la clé des thèmes qui traversent tous les livres de Philippe Besson: la rupture, le deuil, la difficulté d'être soi, la disparition.

Avec «‘Arrête avec tes mensonges'», l'auteur appuie sur le bouton pause, il fait un retour en arrière. Il analyse, il réfléchit, non seulement sur cette adolescence pas toujours facile à vivre pour un jeune homme homosexuel des années 80 mais également sur les conséquences d'un soi non assumé.

Thomas Andrieu a été son premier véritable amour. Une relation tenue secrète durant toutes ces années à cause des pressions sociales et familiales que Thomas portait lourdement sur ses épaules. Ce livre sincère est tendre et émouvant. Il nous rappelle, avec force, la nécessité d'être soi et de ne pas se perdre. Un des meilleurs livres de l'auteur! 5/5 (mh)

«'Arrête avec tes mensonges'», de Philippe Besson, éditions Julliard, 198 pages, 18€

 

 

Vous trouvez que l'exercice a été plus facile?

«C'est plus facile car vous ne devez pas trouver l'histoire. Elle existe. Elle est là, devant vos yeux. Vous devez choisir la manière dont vous allez la raconter. Vous allez devoir faire des choix mais tout est là. C'est troublant de voir à quel point tout est là. Je n'imaginais pas me souvenir aussi bien. C'est comme si vous avez entassé des choses dans une besace et que tout d'un coup, vous ouvrez la besace et tout est là. Cela vous fascine car vous ne saviez pas que tout était dedans. C'est aussi comme une boîte à musique. Quand vous l'ouvrez, la musique se joue et tout revient. Ce qui est difficile, c'est de choisir entre ce que je dis et ce que je ne dis pas. De faire la différence entre l'intime et l'impudique. J'avais le souci de ne blesser personne. On se demande aussi ce que l'on va recomposer, transposer. C'est le ‘je' et le ‘jeu' qui se rencontrent. C'est un exercice extrêmement différent de l'écriture d'un roman.»

Fallait-il absolument attendre qu'il y ait une vraie fin dans votre relation avec Thomas pour pouvoir l'écrire?

«En tout cas, c'est parce que je suis rattrapé par la fin que j'écris le livre.»

Auriez-vous pu l'écrire en 2007 lorsque vous tombez sur un jeune homme qui lui ressemble?

«Non, vous avez raison, il n'y avait pas effectivement de vraie fin. La vraie fin, c'est quand tout d'un coup tout est refermé et qu'il n'arrivera plus rien. C'est parce que je suis rattrapé par le réel que je peux écrire sur le réel. J'écris sur la disparition car je suis rattrapé par la disparition. Je n'aurais pas pu l'écrire en 2007, en effet. Comme on le comprend, je l'ai parsemé dans d'autres romans depuis 2001. Mais l'écrire totalement, il fallait que l'épilogue soit ce qu'il est pour pouvoir me distancier. Ce livre pose aussi la question de ce que j'ai fait de mes 17 ans, de savoir si j'ai tenu les promesses que je m'étais faites adolescent. Cela pose aussi une question fondamentale: que sont devenus nos amours? Par ailleurs, cet épilogue tragique me fait prendre conscience à quel point cette histoire est matricielle, fondamentale, décisive."

Elle est également motrice.

«Elle a décidé de la trajectoire de ma propre existence. Sans cette histoire, je ne deviens pas l'homme que je suis ni l'écrivain que je suis. Je n'aurais pas été obsédé par la brûlure amoureuse, par la rupture, le deuil, la nécessité et la difficulté d'être soi. Tous ces thèmes qui traversent mes livres depuis près de 20 ans. Cette histoire me fait prendre conscience que tout s'est joué dans cet hiver et ce printemps de 1984.»

Vous écrivez: «Je regretterai parfois que mon enfance, mon adolescence aient été si indolentes».

«C'est très important. Ce livre n'est pas un règlement de compte car il n'y a pas de compte à régler. Souvent lorsque les gens écrivent sur leur enfance ou leur adolescence, ça vous donne des livres ‘famille, je vous hais'. C'est une matière littéraire d'avoir été violenté dans son enfance. Moi je préviens qu'il n'y a pas eu de violence dans cette enfance. J'ai eu une enfance très protégée, très indolente, très insouciante.»

Pas à l'école où vous avez subi des moqueries.

«Les moqueries et les insultes arrivent quand on comprend que je suis homosexuel. Elles sont évidemment difficiles à vivre. Les moqueries sont bizarrement plus compliquées à vivre que les insultes. Elles s'insinuent, elles vous blessent beaucoup plus. J'ai beaucoup plus mal à supporter la moquerie que la violence. La chance que j'ai, c'est que je sais déjà que je vais assumer. J'appartiens à un milieu où la révélation de mon homosexualité ne sera pas un traumatisme. Et puis, ça me singularise. J'en fais une force. Je renverse le truc: puisqu'on se fout de moi, et bien je vous fais un bras d'honneur! Puisque vous voulez me mettre à part, je m'y mets encore plus. Il y a l'idée de pousser jusqu'au bout cette singularité, cette différence. Il y a des gens qui cherchent désespérément à ressembler. Moi j'ai cherché désespérément à ne pas être comme les autres.»

À l'adolescence, l'homosexualité peut s'avérer très difficile à assumer, surtout dans les années 80.

«C'est ce que vit Thomas. Nous sommes les deux faces d'une même réalité. Moi, ça ne va pas trop mal. Pour lui, ça a été un traumatisme. Il fait tout pour que ça ne sache pas, pour que rien n'émane de lui. Il est l'insoupçonnable. C'est l'idée de la mystification jusqu'au bout. C'est de montrer un visage de soi qui n'est pas le bon. Il a peur du regard des autres. Et puis, il y a aussi une forme de déterminisme social. A un moment, ce jeune homme sait qu'il n'a pas le choix de reprendre la ferme familiale, qu'il va devoir continuer l'histoire et tout ce qui va avec: fonder une famille, etc. Il n'a pas le choix d'une certaine manière. Il est contraint à prendre la voie majoritaire. Il ne peut pas aller dans la marge. Il se censure. C'est une chose de vivre à l'abri du regard, ça en est une autre de vivre une vie entière d'autocensure et de mensonges. C'est ça le drame absolu: Thomas se sera toujours menti et il aura toujours menti et souffert. Moi, c'est comme si j'avais compris à quel point le mensonge serait un désastre et que la vérité serait plus facile à vivre.»

En 2007, vous tombez dans la rue sur quelqu'un qui lui ressemble. Vous décidez de ne pas reprendre contact avec lui. Vous dites par respect pour S., votre compagnon. Vous pensez que ça aurait été vraiment irrespectueux de votre part?

«J'étais avec quelqu'un d'autre à ce moment-là. Si vous décidez de renouer avec quelqu'un de votre passé quelqu'un qui a vraiment compté, cela voudrait dire que vous mettez en péril votre présent. C'est une façon de dire que la personne avec qui vous êtes ne vous suffit pas. Je n'avais pas envie de me lancer dans ce questionnement. Ensuite, j'ai eu la conviction qu'on n'a jamais de deuxième chance et qu'on ne peut que s'exposer qu'à une forme de désillusion et de déception. Nous ne sommes plus ce que nous étions. J'ai eu peur d'écorner mes jolis souvenirs. C'était à tout point de vue un risque. Après coup, je peux avoir un regret…»

En avez-vous un?

«Oui, c'est cette fin dont nous parlions tout à l'heure qui donne le regret. Je sais que là maintenant, c'est totalement impossible. Quand c'était possible, je ne l'ai pas fait. Maintenant que c'est impossible, j'aimerais le faire. Cela rend fou… Oui, c'est un regret.»