Nicolas Beuglet : Des atrocités commises par la CIA au nom de la recherche scientifique

Dans son nouveau thriller, Nicolas Beuglet se base sur des faits réels qui glacent le dos. «Le cri» nous renvoie à nos propres peurs intérieures. Un page turner comme vous n'en avez jamais lu.
par
Maite
Temps de lecture 4 min.

Vous avez basé votre roman sur des faits réels qui se sont déroulés durant la Guerre froide. Pourquoi ces faits?

«Je n'ai pas choisi de m'intéresser à ces faits. J'y suis arrivé car je m'étais posé d'autres questions avant. Le livre est né d'une peur personnelle, une forme de dépression. J'étais confronté à des situations très étranges de peur presque originelle. Quand les choses se sont tassées, j'ai essayé de comprendre d'où cette peur venait. J'ai découvert que des personnes avaient fait jadis des expériences poussées sur le cerveau dans des conditions illégales. C'est comme ça que je suis arrivé au projet MK-Ultra, un projet qui avait pour but de contrôler les esprits. Il a été initié entre les années 50 et 74 par la CIA qui a mené des tas d'expériences sur le cerveau.»

Les moyens financiers mis à la disposition des scientifiques étaient hallucinants.

«Il y a eu des millions de dollars dépensés. Au départ, on leur a dit que s'ils venaient chez eux, ils allaient avoir non seulement des crédits illimités mais de plus, ils pourraient oublier toute leur éthique. Ils pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient. Le but était de créer un sérum de vérité et savoir comment on pouvait contrôler les gens à distance, altérer leur état, les rendre malades, leur faire simuler des états de folie, etc. Les premières expériences se sont réalisées sur des personnes dites consentantes. Mais ils se sont dit que si les personnes étaient consentantes, ça avait une influence sur les résultats. C'est à partir de ce moment-là que ça a dérapé totalement.»

En 1974, le New York Times révèle cette affaire.

«Le temps qu'une commission d'enquête parlementaire se mette en place, le procès n'a eu lieu qu'en 1977. Ils avaient retrouvé 149 projets liés à MK-Ultra. Les témoins ont avoué que beaucoup de dossiers avaient été détruits et qu'officiellement, tout était arrêté. C'est là que ça m'a intéressé. Je me suis demandé quels dossiers avaient été détruits, jusqu'où ils étaient allés.»

Votre histoire, vous la faites débuter au présent dans un hôpital psychiatrique d'Oslo. Un hôpital qui a bien existé et dont le passé est plus que douteux.

«L'hôpital de Gaustad existe vraiment. Il a été le théâtre de lobotomie à haute dose. C'est la Norvège qui tient le record de lobotomies en Europe quand elle était pratiquée. Cet hôpital a un lien avec la CIA, qui pour justifier certaines de ses opérations se cachait derrière une fondation, le Ford Foundation. Celle-ci a financé les travaux d'un des directeurs de Gaustad.»

Le projet MK-Ultra s'est-il réellement arrêté?

«Très honnêtement, je ne sais pas. Il y a deux choses qui me font douter. Tout d'abord, je ne vois pas pourquoi ils auraient arrêté quelque chose qui était si important pour eux. De plus, quand on leur a demandé s'ils avaient trouvé quelque chose, un sérum de vérité, ou comment manipuler les gens à distance, ils ont répondu qu'ils n'avaient rien trouvé. S'ils avaient dit oui, tout le monde aurait voulu savoir mais ça aurait été secret défense. Je ne vois pas pourquoi ils auraient arrêté leurs recherches. »

Par contre, vous imaginez un projet 488, qui est de la fiction.

«Oui, c'est de la pure fiction. Toutefois, on ne sait rien de tous ces projets qui ont été détruits. Et le fait que Karl Gustav Jung a été associé à un moment à la CIA montre qu'il faisait des recherches qui allaient au-delà de la simple application. Jung réfléchissait beaucoup sur l'inconscient collectif, sur les images que l'on partage tous et qui sont inscrites dans notre ADN. Même si j'ai inventé ce projet 488, je ne pense pas qu'il soit complètement déconnecté des préoccupations de l'époque. La question du livre est de se dire: si l'âme existe, où était-elle avant qu'on vive et où va-t-elle quand on meurt?»

En quelques lignes

Le corps d'un patient est retrouvé dans un hôpital psychiatrique d'Oslo. Sarah Geringën est dépêchée sur place et se rend vite compte que cette affaire ne ressemble en rien aux autres. Les comportements du personnel de clinique sont suspects, le tatouage ‘488' sur le front de la victime est interpellant, sans parler du fait que le corps a en réalité été déplacé. À travers ce meurtre, totalement inventé par l'auteur, Nicolas Beuglet revient sur un projet qui lui a réellement existé: le projet MK-Ultra. Dévoilées en 1975 par le New York Times, ces recherches illégales ont été menées par la CIA sur des personnes non-consentantes. L'objectif: développer les techniques de manipulation mentale. Nicolas Beuglet raconte avec brio ces faits réels, en y ajoutant un ancrage actuel. «Le Cri» a tout d'un vrai thriller dont on ne sort pas indemne.

«Le Cri», de Nicolas Beuglet, éditions XO, 496 pages, 19,90€