Après 30 ans d'absence, le facteur est de retour à Kinshasa

Depuis 1985-86 et jusqu'à récemment, la Société congolaise de poste et de télécommunication (SCPT) ne remplissait plus sa mission de livraison du courrier. Mais désormais le facteur est de retour dans les rues de Kinshasa.
par
ThomasW
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"Recevoir du courrier par la poste, c'est une première pour moi, en plus à domicile !" Odette Tshibambe, étudiante d'une trentaine d'années, n'en revient pas qu'un facteur frappe à sa porte à Kinshasa. Et pour cause: l'homme en jaune est un ressuscité après plusieurs décennies d'agonie de la Poste en République démocratique du Congo.

Depuis 1985-86 et jusqu'à récemment, la Société congolaise de poste et de télécommunication (SCPT) ne remplissait plus sa mission de livraison du courrier, témoigne Anifa Kayumba, chef de l'immense centre de tri de Kinshasa où attendent désormais soigneusement rangés de gros sacs de jute emplis de lettres. Comme Odette Tshibambe, nombre de Kinois ont pu constater le retour des facteurs à Kinshasa, ville de 10 millions d'habitants où ils circulent à bicyclette, à moto ou à pied.

Mme Kayumba, "33 ans de service", se souvient des années noires et de la "démotivation des agents" à cause du non versement de leur solde. Chaque matin le siège de la SCPT était transformé en "funérarium", raconte-t-elle, un cercueil barrant l'entrée pour marquer "un deuil permanent". Les clients avaient perdu confiance dans la Poste parce que la plupart des colis "étaient éventrés ou se perdaient", renchérit Élisabeth Lengema, 26 ans d'ancienneté et aujourd'hui fière de participer au tri du courrier.

Arriérés perdus

A cette époque, souligne Mme Kayumba, les employés ne venaient au travail que pour "fouiller les colis" et repartaient après les avoir délestés de billets, montres, bijoux... Les rares plis qui échappaient à ce "contrôle" étaient livrés à domicile contre paiement d'un "transport", une somme exigée pour le déplacement et fixée à la tête du client.

Héritage de la colonisation belge (1909-60), l'imposant Hôtel de la Poste était devenu le repaire des vagabonds et des enfants de la rue.

Face à l'insalubrité, "la direction de la SCPT avait déserté les lieux pour louer à grands frais de beaux bureaux" ailleurs, rappelle Didier Musete, le patron de la Poste. Cet homme revenu au Congo après avoir étudié en France et acquis une expérience dans les télécommunications a été nommé à la tête de l'entreprise publique en 2014 avec pour mission de la remettre debout.

Pour relancer l'activité, les agents ont dû quasiment renoncer à leurs 80 mois d'arriérés de solde, et touchent désormais un salaire mensuel de quelques centaines de dollars par mois, versé régulièrement.

Attirer les milliards de la diaspora

Chaque matin, Honoré Kabiena, la cinquantaine, livre le courrier à moto dans des communes du nord de Kinshasa, de la Gombe à Barumbu. A chaque arrêt, il enlève son casque jaune barré de l'inscription "La Poste", salue et fait signer son registre, mais sans s'attarder pour discuter. "Il ne faudrait pas que les clients s'imaginent que je vais leur demander un 'transport'", se justifie-t-il.

Sur le boulevard du 30-Juin, artère emblématique de la Gombe, le quartier administratif de la capitale, l'Hôtel de la Poste a fait peau neuve. Même la grosse horloge encastrée dans un coin du bâtiment fonctionne. Aux guichets, on ne se bouscule pas encore. Une vingtaine de clients se succèdent pour acheter des timbres, déposer du courrier pour l'étranger ou retirer des fonds envoyés par un proche vivant hors du pays.

Pour l'heure, les échanges postaux se limitent à des envois de l'étranger vers Kinshasa et réciproquement. Il n'y a pas encore de trafic postal à l'intérieur de la RDC, un pays grand comme cinq fois la France et largement dépourvu d'infrastructures. Mais c'est prévu dans un second temps, indique M. Musete.

La priorité est d'abord d'attirer vers la Poste les transferts de plusieurs milliards de dollars par an envoyés vers Kinshasa par la diaspora congolaise -l'une des plus grandes d'Afrique- que contrôlent aujourd'hui surtout des opérateurs privés.

L'entreprise est encore loin d'être rentable, reconnaît M. Musete, sans donner de chiffres. Son développement "se réalise sur fonds propres" de l'État, grâce aux recettes tirées de la location aux opérateurs de télécoms du tronçon de fibre optique qui relie depuis 2014 Kinshasa au câble atlantique.

Ph. JUNIOR KANNAH / AFP