Flavie Flament : «David Hamilton a sûrement fait aussi des victimes en Belgique»

Il ne faut pas voir les sorties de Flavie Flament comme une simple promotion de son livre. En racontant son histoire -le viol qu'elle a subi quand elle était adolescente par un photographe renommé mondialement qu'elle finira par nommer vendredi dernier dans une vidéo –, l'animatrice française veut non seulement lancer un appel à toutes les victimes potentielles de son bourreau mais également pointer du doigt une loi française, celle de la prescription. Rencontre avec une battante, une femme qui mènera son combat coûte que coûte et qui ne se laissera impressionner ni par son bourreau, ni par sa propre famille.
par
Maite
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Pour la première fois vendredi dernier, vous donnez vous-même l'identité de votre violeur. Pourquoi l'avoir fait seulement maintenant?

«Oui, c'est la première fois que je nomme David Hamilton comme étant mon violeur. Je ne l'avais fait auparavant car je voulais pointer du doigt la double punition de la prescription. On vous dit à un moment donné qu'il est trop tard pour porter plainte. Par ailleurs, on vous fait comprendre que de victime, vous pouvez devenir coupable pour diffamation. Votre violeur peut vous attaquer parce que vous l'avez désigné. Nous sommes dans un drôle de monde. Aujourd'hui, je suis très entourée. D'autres victimes se sont exprimées. Je suis donc prête à courir le risque.»

Son nom était déjà connu, notamment suite à la révélation de Thierry Ardisson sur le plateau de Salut les Terriens.

«Thierry Ardisson l'avait nommé, oui. Puis, il suffit de regarder la couverture de mon livre. C'est une photo de lui. Néanmoins, je pense qu'il était important que cela passe par moi aussi. Tout le monde parlait mais je devais le prononcer moi-même. C'était un grand pas.»

Comment avez-vous vécu l'écriture de votre livre?

«Le livre a aidé. Il a aidé à faire remonter des souvenirs, à faire parler. Il a été une façon de mieux vivre. J'ai trouvé un moyen de m'alléger au fur et à mesure que les souvenirs revenaient à la surface. Il y a eu la phase de l'écriture. Mais il y a aussi sa sortie. Je vois ce qu'il provoque. Je voulais pointer du doigt non seulement un coupable mais aussi la loi française sur la prescription qui n'était pas la bonne. Je voulais aussi montrer que parfois la voix est muselée par un entourage familial qui est dans le déni. Aujourd'hui, il y a une étape suivante, qui est de le dire, d'en parler, d'inviter les gens à vraiment bien regarder ce qu'il fait et de faire face à mon bourreau. Car pour le coup, c'est vraiment ce que je suis en train de faire aujourd'hui: je fais face à mon bourreau.»

Il avait même répondu par voix de son avocat.

«Il n'a pas répondu à l'accusation frontale. Mais il a répondu car il y a eu un tel mouvement sur les réseaux sociaux qu'il s'est senti dépassé. Il a fait une sorte de droit de réponse écrit par un avocat, une sorte de menace de poursuites.»

D'autres victimes potentielles de David Hamilton sont venues vous voir. Comment cela s'est-il passé?

«L'ouvrage était à peine sorti qu'elles sont venues directement vers moi. C'était fou. ces rencontres ont été en même temps quelque chose de très beau et de très douloureux. Certaines n'avaient pas encore lu «La consolation», et quand elles me parlaient j'avais l'impression que c'était mon histoire. Il y avait des rituels, des modes opératoires. Nous avons vécu les mêmes traumatismes. Je suis portée par tout cela. Ce n'est pas seulement ma voix mais c'est aussi celle de toutes les victimes.»

Pour l'instant, ces femmes restent anonymes. Comptent-elles le rester?

«Je n'en ai aucune idée. Mais je respecte leur besoin d'anonymat. Je ne leur avais pas demandé de venir à moi. Elles sont venues d'elles-mêmes. Elles ont toutes leur vie, leur intimité, un équilibre familial qui pourrait être bouleversé par tout ça. Je deviens leur porte-parole médiatique. Comme je suis rompue à l'exercice des médias et qu'il se trouve que je n'ai pas peur de grand chose dans ce combat. Je suis prête à prendre les coups pour toutes les victimes. Je suis prête à tout pour que la vérité éclate, que les mentalités évoluent et que les politiques s'emparent de cette question. S'il faut qu'à un moment donné «La consolation» que j'ai voulu délicat, pudique devienne un pavé dans la mare qui éclabousse tout le monde, ce n'est pas grave.»

Saviez-vous qu'il y avait d'autres victimes?

«Je ne pouvais pas être la seule à avoir vécu tout ça. Je n'étais pas assez importante dans sa vie et dans sa carrière pour qu'à un moment donné il fasse ça à moi et pas à d'autres. En décryptant ce qu'il m'avait fait, j'étais persuadée qu'il y en avait d'autres. Après, il n'était pas dit qu'elles viendraient à moi, et surtout qu'elles m'accompagneraient dans ce combat. J'étais prête à mener ce combat toute seule. Mais ce qui est extraordinaire aujourd'hui, c'est que je ne mène plus ce combat toute seule.»

Vous n'êtes plus seule d'un côté. Mais de l'autre, les réactions de votre propre famille doivent être très lourdes à porter.

«Ça choque l'opinion, et je comprends: c'est scandaleux. En revanche, personnellement je le savais. Ce n'est pas une surprise pour moi. Un entourage défaillant, qui ne veut pas voir et qui n'accepte pas car cela impliquerait une remise en question, c'est très fréquent. Il y a un nombre incroyable d'enfants qui sont victimes de viols et qui ne peuvent pas en parler parce que leur famille ne les croit pas. Ces gens-là ne savent pas se remettre en question.»

Vous n'espériez pas une remise en question?

«Non je n'espère plus rien. Cela fait trop longtemps que je suis seule pour envisager quoi que ce soit d'eux. Quand on est capable de laisser son enfant à un photographe qui ouvre la porte alors qu'il est tout nu, comment voulez-vous qu'on puisse attendre quelque chose de quelqu'un comme ça? On ne peut plus rien en attendre. Après, il y a eu une prise de parole publique qu'il aurait mieux valu taire. Surtout quand on se prend une espèce de boomerang avec les témoignages d'autres victimes. Il faut apprendre à se taire.»

Depuis la sortie de votre livre, vous enchaînez les interviews. Comment arrivez-vous à en parler tout le temps, tous les jours? Cela doit être très compliqué.

«Regardez, en fait, je ne reviens pas sur mon expérience personnelle, sur mon histoire. Je vous parle d'un combat. Par ailleurs, il n'y a rien de pire que de conserver un secret. Ça vous dévore, vous bouffe de l'intérieur. Le fait d'en parler est moins douloureux. J'ai eu cette chance de pouvoir transformer ma douleur en écrivant un livre et en engageant un combat. Aujourd'hui, je ne lâcherai pas cette affaire. On en apprend au jour le jour. Je ne sais pas jusqu'où ça va aller. Je suis aujourd'hui très entourée. J'ai une amie journaliste qui mène une enquête, j'ai mon avocate, il y a d'autres victimes…»

Un combat de femmes?

«À part l'homme de ma vie, il n'y a que des femmes, oui. C'est incroyable comme c'est devenu un combat de femmes. Quand on a choisi la couverture avec les avocates et mon éditrice, on a senti naître en nous une conviction et une indignation qui nous ont emmenées à un engagement. Aujourd'hui, nous sommes engagées.»

Comment cela s'est passé avec vos proches? Votre compagnon, par exemple?

«Une femme violée parle sans s'en rendre compte. À travers des comportements, des inquiétudes, des failles, des peurs déraisonnées. Une femme blessée, c'est une femme qui, même si elle veut planquer le truc, elle n'y arrive pas très longtemps auprès de son entourage le plus proche. Après j'ai cette chance inouïe d'avoir rencontré quelqu'un qui a pris cela à bras-le-corps et... à ‘bras-le-coeur'.»

Quelle est la suite?

«On apprend au jour le jour. J'avais préparé un accueil juridique au cas où d'autres victimes venaient vers moi. Je voulais voir de quelle façon on allait pouvoir réagir. C'est aussi un combat politique. La guerre est médiatique car il faut que ça bouge. Ensuite, il faut que les politiques s'emparent du débat (ce mardi, Flavie Flament s'est vue confier par la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, une mission de lutte contre les violences faites aux femmes, NDLR). J'espère que les choses vont bouger.»

C'est pour mener avant tout ce combat que vous avez décidé de publier votre livre?

 

«Je l'ai publié car la libération de ma parole est la libération de la parole des autres. C'est aussi la condamnation de la prescription, c'est ma façon de l'abolir. Le fait de dire que mon violeur est David Hamilton est aussi une façon d'abolir la prescription. Pourquoi devrais-je me taire? Sous motif que je suis hors délais de prescription?! Pourquoi serais-je muselée avec mon secret? Comme si du jour au lendemain, on ne souffrait plus, qu'il y avait un bouton on-off.»

Les victimes que vous avez rencontrées ont-elles toutes passé ce délai?

«Nous sommes en train d'y travailler. Il faut savoir que la première victime remonte vers 1967. J'ai subi ce viol en 1987. Pour le reste, on recueille les infos au fur et à mesure. Pour les besoins de notre enquête, on ne peut pas tout dire. Mais il faut savoir que David Hamilton a été marié à une Belge. Il existe sûrement aussi des victimes en Belgique. Il a même un jour dit dans une interview que Dutroux avait foutu son business en l'air. C'est pour cela que c'est important que l'on en parle, que vous en parliez.»

«La consolation», de Flavie Flament, éditions JC Lattès, 19€ 354 pages