Les talents belges s'exposent à Paris

Vous préparez une petite escapade à Paris ? Voici quelques idées d'expositions accessibles en famille. Et autant dire que les Belges sont à l'honneur.
par
Nicolas
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Conseil d'ami : pour ces expositions (et notamment celles consacrées à Hergé et à Magritte), une réservation anticipée via les sites des institutions qui les accueillent s'avèrent nécessaires au vu de leur succès.

Hergé, roi de la ligne claire

Voir un auteur de BD mis à l'honneur au Grand Palais, ce n'est pas courant. Et pour que le symbole soit en encore plus fort, il fallait un monument. Georges Rémy (1907-1983), alias Hergé, s'affiche en grand partout dans la Ville-Lumières depuis fin septembre. Une rétrospective exceptionnelle revient sur le parcours du créateur de Tintin en commençant par la fin de l'histoire, celle qui s'est écrite avec un grand A, comme Art.

Andy Warhol, Portrait d'Hergé, 1977 © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2016 - © Jean–Pol Stercq / ADAGP, Paris 2016

L'entrée se fait par la Galerie Fourcart, allusion sympathique à l'album inachevé « Tintin et l'Alph'art ». Comme pour justifier d'entrée la place d'Hergé dans ce haut-lieu de l'art contemporain, il fallait bâtir le pont avec les grands artistes. Dans la deuxième partie de sa carrière, le dessinateur et auteur se fera remarquer pour son goût pour l'art contemporain, encouragé par sa deuxième épouse Fanny, dont il fit un joli portrait ‘modiglianesque'. Le visiteur est donc accueilli par une série d'œuvres de Hergé, bien éloignées de la BD mais prouvant son admiration pour des maîtres comme Miro ou encore Poliakoff. Ensuite les crayonnés de l'album inachevé forment les cinq lettres de cette signature fondatrice du 9e art en réponse aux cimaises qui lui font face. Y sont accrochés quelques grands exemples de la collection personnelle de l'artiste, dont les célèbres portraits réalisés par Warhol, ou encore la série de Lichtenstein consacrée à la cathédrale de Rouen, un Fontana, une sculpture de Berrocal, une toile d'Alechinsky.

 

Hergé, Les Aventures de Tintin
Tintin et l'Alph-Art, Découpage de la planche 17, 1978-1982 © Hergé/Moulinsart 2016

La suite de cette odyssée hergéenne se poursuit à reculons dans l'œuvre d'une vie. À travers planches, crayonnés et documents audiovisuels, nous sommes conviés à une ludique et passionnante quête de synthèse que fut la ligne claire, style ainsi nommé par l'artiste néerlandais Joost Swarte. Ce qui fut longtemps présenté comme un sous-art apparaît à l'aune des étapes d'un travail gigantesque. Toute sa vie Hergé poursuivra un seul but : celui de raconter des histoires efficaces. Avec toutefois un poids lourd sur ces épaules, la popularité de son petit reporter le dépassant, l'éclipsant. Aucune impasse n'est faite sur les épisodes un peu plus troubles : la participation au Soir dirigé par l'occupant, la pression du directeur du XXe siècle l'abbé Wallez, les discours simplistes sur la colonisation ou la judéité de certains personnages gommés dans des versions plus tardives. Les soupçons de collaboration sont balayés par le dessin avec ces cases humoristiques de Monsieur Bellum. S'il est une œuvre qui fut marquée des tourments de son auteur, c'est bien Tintin. Une vie jalonnée de rencontres heureuses aussi, comme celle fondatrice avec l'artiste chinois Tchang, qui ouvrira Hergé au monde dès "Le Lotus bleu".

Hergé, La Tente, Couverture de publication : illustration et lettrage, 1936 © Hergé/Moulinsart 2016

Les fidèles tintinologues n'apprendront peut-être pas grand-chose de neuf mais l'exposition s'avère une intéressante entrée en matière pour les novices. On reste un peu étonné de voir peu de "Quick & Flupke", peut-être trop Bruxellois, dans cette exposition parisienne qui logiquement revient sur "Jo Zette et Jocko" (série à destination de la publication française Coeurs Vaillants). Quelques mises en espace auraient mérité mieux qu'une arrière-salle du Grand Palais (comme ces planches disposées autour d'une réplique de Moulinsart), mais l'attachement aux détails du dessin, maintenus tout au long de l'exposition (y compris dans l'étonnante et magnifique contribution d'Hergé comme illustrateur publicitaire) rend hommage à un grand artiste, qui bat les records en salle de ventes.

 

Hergé, Illustration de couverture en couleur du premier numéro du journal Tintin publiée le 26 septembre 1946, 1946 © Hergé/Moulinsart 2016

Magritte, la trahison des images

René Magritte, La durée poignardée, 1938
© Photothèque R. Magritte / Banque d'Images, Adagp, Paris, 2016

Autre réhabilitation en quelque sorte, celle de Magritte au Centre Pompidou. Ici aussi, Paris revient sur la carrière d'un artiste emblématique du plat pays mais dont l'importance a été longtemps minimisée outre-Quiévrain, suite notamment à la rupture des surréalismes belge et français.

René Magritte, Décalcomanie, 1966, © Photothèque R. Magritte / Banque d'Images, Adagp, Paris, 2016

René Magritte (1898-1967) fut un créateur d'images incroyables aux sens cachés, à chercher dans une vie marquée par un goût pour la philosophie. Le choix du commissaire Didier Ottinger consiste justement à explorer un dialogue qui fut constant avec les philosophes contemporains comme Alphonse de Walhens, spécialiste de Martin Heidegger. Il s'intéressa à la nouvelle rhétorique de Chaïm Perelman. D'une riche correspondance avec ces penseurs, le peintre distillera dans son œuvre toute une réflexion sur le poids des images et leur confrontation aux mots (le fameux « Ceci n'est pas une pipe », mais pas que) et des pouvoirs de la représentation.

René Magritte, La Condition humaine, 1935 © Adagp, Paris 2016

On se plaît à (re)voir détournés ces objets du quotidien (parapluie, train, pipe évidemment, etc.) ouvrant sur des ciels en nuages, encadrés de rideau rouge, pour rappeler que le spectateur est face à une mise en scène. Si l'entrée en matière passant par un rapide portrait du Magritte philosophe peut paraître ardue, le chapitrage des salles suivantes permet une introduction ludique et érudite dans l'œuvre du peintre. Ludique parce que l'imagerie Magritte excite l'imaginaire et suscite sans cesse l'étonnement et le questionnement. Érudite car elle plonge dans l'Histoire avec Pline l'Ancien, Platon (et sa caverne) et Cicéron, autant d'auteurs et d'indices qui nous guident à travers la centaine de tableaux repris dans cette exposition passionnante.

Machines à dessiner

Un pur hasard sans doute, mais la troisième exposition que nous vous proposons, constitue, si l'on ose pousser les analogies assez loin, une curieuse synthèse des deux précédentes. Passionné d'histoire industrielle, François Schuiten orchestre une intrigante plongée dans l'histoire des techniques. Avec l'aide de son complice scénariste Benoît Peeters et Éric Dubois, professeur d'arts appliqués à l'école Boulle, il présente l'exposition « Machines à dessiner » plongeant dans les collections magnifiques du Musées des Arts et Métiers.

Benoît Peeters et François Schuiten © Musée des arts et métiers-Cnam / Photo Hélène Mauri

Le titre renvoie à la fois à ces machines qui ont permis de perfectionner le dessin technique mais aussi à ces engins qui ont titillé l'imagination du dessinateur bruxellois qui dans chaque album allie une précision historique à des visions futuristes. Le fait que ces univers soient plausibles crée une ambiance particulière aux albums de Schuiten qui n'a de cesse de rendre hommage aux hommes qui ont repoussé les limites de la physique et de son application.

© Musée des arts et métiers-Cnam / Ph. Hélène Mauri

Dans ce dialogue constant entre les  dessins de l'artiste et les objets exposés, le spectateur se retrouve à l'intersection de la réalité et de la fiction, comme l'avait fait par le passé les voyages lunaires ou subaquatiques de Jules Verne. Cela commence d'entrée de jeu, avec la présence imposante d'un scaphandre du 19e siècle tout en métal. Les mécanismes de Vaucanson, célèbre inventeur d'automates au 18e, dessinent par leurs roues dentées et leurs mouvements des avancées dantesques dans l'histoire de la technologie.

Dynamomètre de Régnier, vers 1798
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Dephti-Ouest

Sont ici accrochés quelques exemples de dessins techniques éclairants sur leur importance pour transmettre les savoirs. Il s'agit de véritables œuvres d'art par leur jeu sur les perspectives, les angles de vue et l'usage des couleurs. Astrolabes, locomotives (dont la célèbre Douze) et machines à vapeur renvoie aussi au travail fou de précision de Schuiten dont la table à dessin trône au milieu de l'exposition. Ces fruits du génie humain hantent comme des fantômes les "Cités obscures", bandes dessinées réalisées avec Benoît Peeters. Par cette exposition, le dessinateur entend faire émerger la beauté de machines et d'objets a priori purement utilitaires, mais non dénués de science. Le futur n'est pas oublié, car une surprise attend le visiteur qui sera amené à éprouver les nouvelles manières de dessiner dans l'espace. Machines à dessiner et à rêver donc!

L'exposition s'est ouverte simultanément à la publication du deuxième tome de « Revoir Paris » du même duo Schuiten-Peeters aux éditions Casterman. Une nouvelle histoire qui nous plonge dans un Paris futuriste mais conscient de son histoire.

Nicolas Naizy