Au théâtre cette semaine - le 12 février 2016

par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Petit regard critique sur les pièces à voir cette semaine.

L'échange

Monter Paul Claudel (1868-1955) et sa langue poétique, emplie de références chrétiennes, peut relever de la gageure en 2016. Pourtant, c'est le pari pris par Peggy Thomas, motivée par l'enthousiasme de ses comédiennes. Pièce écrite en 1894, retravaillée en 1951 par son auteur, « L'échange » est un chassé-croisé à quatre personnages. Poussée par son amour pour Louis, Marthe quitte la France pour rejoindre son amant. Mais la vie paisible et modeste du couple est fortement perturbée par sa rencontre avec les Pollock. Lechy est comédienne, Thomas est businessman. Bling-bling dans leur style de vie, ils attirent dans leurs filets de paillettes le rêveur Louis, sous les yeux désespérés de sa jeune épouse. Vient alors le marché odieux, où le jeune paysan devient l'amant de la riche voisine. Le spéculateur entend bien prendre – en échange de quelques billets - la frêle Louise. Mais cette dernière ne l'entend pas ainsi et réclame justice.

La metteuse en scène choisit l'épure totale dans son occupation de cette salle des voûtes du Public. Le public en disposition quadrifrontale assiste à un échange de longues tirades poétiques, le texte file, ponctué d'élans écolo. Faute de décor, si ce n'est un délicat habillage de lumière rythmant cette journée de trahison, Peggy Thomas joue principalement sur son « quatuor », comme elle l'appelle. Chacun joue une partition propre, en solo, en duo, en trio et plus rarement à quatre.

La pièce passe par une sociologie précise, propre à Claudel, consul de France à New York et à Boston à la fin du 19e siècle. C'est la confrontation des classes où la vertu de la condition modeste, française (sic), à la violence du capitalisme américain, que Claudel jaugea lors de ses missions diplomatiques. Le divorce et la frivolité sont des luxes réservés aux nouveaux riches bourgeois, mais séduisants. Psychologique surtout dans sa deuxième partie, « L'échange » révèle ses personnages à eux-mêmes, dans leurs travers. Pour celle qui orchestre cette version, ils sont les quatre facettes de l'auteur, comme les quatre points cardinaux d'une personnalité éclatée.

Ph. Bruno Mullenaerts

Le texte exige une concentration maximale du spectateur et de ses interprètes. À ce jeu, Jean-Marc Amé (Louis) et Isabelle Renzetti (Lechy) remplissent particulièrement le contrat. Moins présent sur scène, Philippe Rasse incarne avec aisance, l'arrogance, non sans fragilité, de l'arriviste « main en poche comme pour compter ce que l'on vaut ». Avec son rôle particulièrement ingrat, Aurélie Vauthrin-Ledent (Louise), entière dans ses habits de jeune femme intègre, semble parfois courir après son texte, imposant certes, mais peut-être pas aussi monolithique que ne l'est sa composition. Les mots de Claudel forment des longs tunnels verbaux, beaux dans leur lyrisme, mais exigeants dans leur phrasé. Théâtre de texte d'acteurs par excellence, « L'échange » émeut par son élégance, malgré une intrigue des plus rugueuses.

Un conte d'hiver

Relativement peu jouée, cette pièce de Shakespeare commence comme une tragédie, violente, et se poursuit comme une comédie.

Ph. Sébastien Fernandez

Le roi de Sicile, Léontes, aime de toute son âme sa reine Hermione. Mais le spectacle des événements lui font croire que son épouse s'est laissée charmée par Polixènes, souverain de Bohème et ami d'enfance du monarque méditerranéen. Fou de jalousie, Léontes fomente l'assassinat du présumé amant et met sa reine prétendument adultère aux arrêts. Le premier échappe à l'attentat, la seconde meurt en prison, brisée par la mort de son dauphin de fils. Le roi coupable, sombre lui dans la contrition.

On vous laisse apprécier la suite pour ne pas vous gâcher le suspense en cinq actes. Georges Lini en fait un théâtre « actuel et non actualisé ». Il souhaite par sa mise en scène « transposer les conventions shakespeariennes à la réalité » en réduisant au maximum son emballage. Il place toutefois sa distribution en cage de verre, qui restera le principal théâtre des faits. Comme pour prendre de la distance, il sort ses personnages de cette serre qui en devienne observateur. Les passages à l'avant-scène de Léontes sont surtout les apartés dans sa folie, puisqu'aveuglé par ce qu'il voit et n'entendant plus son entourage, il s'enfonce dans la spirale du complot. Plutôt bien vue, cette mise en forme apporte une dynamique nouvelle. La mise en images rappelle la férocité de l'approche du metteur en scène habitué à mettre en relief la violence des personnages et de leurs interactions. Celle s'allège toutefois par des images propres à l'enfance avec cette légère balançoire tombée du ciel.

Ph. Sébastien Fernandez

Il retrouve ici des comédiens complices depuis longtemps. Comme Itsik Elbaz, formidable Léontes, parfait en dingo couronné. Hilarant et touchant à la fois, il parvient dans cette course folle à apporter la nuance utile à ce caractère profondément perturbé. Plus réduite dans son rôle profondément dramatique, Anne-Pascale Clairembourg, incarne une reine superbe et détruite. Le reste de la distribution ne démérite pas (Daphné D'Heur, Didier Colfs, Thierry Janssen, Michel de Warzée, Luc Van Grunderbeeck, Julien Bésure, Sarah messens et Louis Jacobs). Mais l'on aurait préféré chez chacun retrouver cette dose de second degré insufflée par Elbaz, pour secouer encore un peu plus cette fantaisie qui ne compte peut-être pas parmi les meilleurs écrits de l'auteur anglais, mais séduit par son exploration de la folie d'un homme.

 Nicolas Naizy