Daniël Ost, le seigneur des fleurs

par
Jerome
Temps de lecture 7 min.

‘Comment appelle-t-on ce que fait Daniël Ost?', se demande l'écrivain néerlandais Cees Nooteboom dans le nouveau livre de l'artiste floral. L'artiste, qui habite à Saint-Nicolas, préfère quant à lui se considérer comme un bouquetier. Pourtant, son travail s'inscrit parfaitement dans la lignée des artistes contemporains. Art ou pas, Ost est très apprécié de notre maison royale, et la famille impériale japonaise l'adore aussi. Cette semaine, il s'est encore vu décoré de l'Order of the Rising Sun. Un livre magistral, 60 printemps et d'innombrables distinctions internationales, les raison ne manquent pas pour un entretien exclusif avec le ‘Van Gogh de l'art floral.'Par arne rombouts–––

Ce gros livre est-il une sorte de testament, le fleuron de votre carrière?

«Une sélection de 404 pages a été faite parmi 9.776 diapositives. Ce n'est pas toute ma carrière qui est dans le livre. C'était impossible. Il est déjà tellement gros et lourd comme ça. C'est déjà mon quatorzième livre, mais cette fois nous allons le distribuer dans le monde entier, avec un tirage à 16.000 exemplaires, du jamais vu en Belgique. Tant les éditeurs américains, allemands que français ont pu donner leur avis sur la composition du livre. Je ne suis pas habitué à ça, mais je suis quand même fier du résultat.»

Pouvez-vous vous rappeler de votre tout premier bouquet?

«J'avais à peine trois ans, mon grand-père était en train de jouer aux cartes avec ses amis. J'étais en train de cueillir des fleurs sauvages à côté d'une fosse. Lorsque, tout d'un coup, je suis tombé dans ce trou, feu mon grand-père m'a sauvé la vie. En ce temps-là, il n'était vraiment pas du tout normal que le fils aîné de six enfants joue avec des fleurs. Mon père a essayé de m'envoyer à l'école des cadets pour me détourner de cette habitude, mais cela n'a pas marché. J'ai finalement quitté la maison parentale et j'ai atterri chez ma grand-mère. Comme, à l'époque, il n'était pas possible, hélas, d'apprendre le métier de fleuriste en Belgique, j'ai commencé comme apprenti chez Peter Curfs.»

Et il vous a fait cadeau de son savoir?

«Ce n'était pas un cadeau. Je me souviens de mon premier bouquet de mariée. J'ai dû commencer à 8 heures du soir… jusqu'à 5 heures du matin. A chaque fois qu'un petit fil d'un dixième de millimètre n'était pas à sa place, je devais poser mes mains sur la table. Et alors, il tapait dessus avec un bambou. C'était à nouveau l'école militaire. (rires)»

Qui d'autre vous a inspiré?

«C'est à cause de lui que je suis allé aux Pays-Bas où j'ai entamé un master en art floral. J'y étais le seul Belge. Hilarité générale, et en plus j'étais premier le jour où les Pays-Bas ont perdu la coupe du monde contre l'Argentine. Après, j'ai participé à des concours, mais c'était une grosse erreur. Je mettais toute mon énergie à convaincre mes collègues, au lieu de la consacrer à mes clients. J'ai ainsi gaspillé quelques années de ma carrière.»

Quel en a été le tournant?

«En 1985, alors que j'étais deuxième à la coupe du monde de l'art floral à Detroit, j'ai pu suivre, grâce à une usine de ballons Superloon, un parcours d'apprentissage au Japon. C'est ainsi que je suis entré en contact avec Noboru Kurisaki, le propriétaire d'un club privé, un lieu de rencontre pour l'élite artistique et la jet-set homosexuelle de Tokyo. Il m'a enseigné l'art floral japonais. C'est lui qui a prononcé cette phrase légendaire: ‘Une seule fleur est parfois plus éloquente que 10.000 fleurs, il faut juste choisir le bon moment.'»

Aviez-vous toujours voulu faire ce métier?

«En réalité, je voulais devenir chansonnier et non fleuriste. J'admirais Wim Kan, Wim Sonneveld et Toon Hermans. Lorsque ma fille se mariera l'année prochaine, je chanterai une belle chanson de Sonneveld.»

Mais aujourd'hui vous mettez vos fleurs en vedette. Comment décririez-vous votre style?

«Je reste un enfant de la Flandre et je viens du pays de Breughel. Un bouquet très baroque me procure donc toujours beaucoup de plaisir. Mais ne vous y trompez pas, j'ai autant de plaisir à travailler avec une seule fleur. Mais si on vous demande pour le mariage de Philippe et Mathilde, vous ne devez pas arriver avec une petite fleur.»

Quelles sont les fleurs préférées de notre famille royale?

«J'ai encore dit la semaine dernière sur RTL qu'il faut demander à la reine Mathilde quelle est sa fleur préférée. Je ne le sais pas. Durant les préparatifs du mariage, il y avait un dialogue entre la reine Paola et Mathilde. Paola voulait du blanc et Mathilde voulait du rouge. Je sais donc que le rouge est sa couleur préférée, mais je ne pouvais pas poser plus de questions.»

Mais s'ils vous réclament au palais en tant qu'artiste floral, ils savent bien à quoi ils peuvent s'attendre?

«Ça, ils ne le savent jamais. (rires) C'est ma marque de fabrique. Il y a un Daniël Ost qui a fait des livres pour lui-même, qui ne supporte aucune contradiction et qui décide tout lui-même. Mais si je dois faire un mariage demain, je dois faire des concessions.»

Mais vous avez carte blanche en général?

J'ai des clients qui me donnent carte blanche, mais c'est la minorité. Bien sûr, pouvoir faire ce qu'on a envie de faire est toujours agréable. Ma mère a dit un jour à la télé: ‘Mon fils est resté un enfant et ne deviendra jamais adulte. Malheureusement, les Japonais lui donnent toujours de nouveaux jouets.' (rires)»

Qu'y a-t-il de si particulier à cette culture japonaise?

«Les Occidentaux utilisent les fleurs pour des moments importants dans leur vie. Les Orientaux ont développé un art floral aux racines religieuses. Nous travaillons avec les volumes et le corps de la fleur, mais eux ont le secret pour travailler avec l'âme de la fleur. Les grands maîtres au Japon peuvent communiquer entre eux avec des fleurs, comme nous, nous écririons une lettre.»

Quelles sont vos couleurs préférées?

«J'aime les tons bleus, mais aussi les associations de couleurs complexes: violet, bleu et nuances de brun. Je ne suis pas du genre à beaucoup utiliser le rouge. Là, je diffère de notre reine.»

Pouvez-vous mettre quelques chiffres sur vos créations?

«Pour le mariage de Philippe et Mathilde, nous avons utilisé 16.000 kilos de fleurs. J'ai même fait un mariage à Abu Dhabi pour lequel j'ai perturbé tout le commerce mondial des fleurs. J'y ai travaillé 7 jours et 7 nuits avec 376 fleuristes. On parle ici de quelques centaines de milliers de fleurs.»

Vous avez deux enfants, une fille et un fils. Allez-vous laisser votre empire à votre fille?

«Elle a encore un an devant elle. Elle ne peut surtout pas essayer de m'imiter. Cela n'aurait d'ailleurs aucun sens. J'ai eu l'honneur d'exposer dans tous les grands temples, où même les Japonais ne peuvent entrer. Ils ont d'ailleurs demandé au pape des bouddhistes pourquoi je pouvais décorer le temple d'or. Il a répondu: ‘Qu'y puis-je si je trouve que ses fleurs sont belles et qu'il est parfois plus japonais que les Japonais?' Ma fille doit surtout maîtriser la technique et puis faire comme elle a envie de faire. Elle doit rester Nele Ost. Elle est beaucoup plus belle et plus gentille que moi, elle a le sens de la perfection et un sens des couleurs incroyable.»

Vous avez tout de même beaucoup sacrifié à votre passion?

«Dans mon livre, il est écrit que j'ai vécu en froid avec le monde entier, sauf avec mes fleurs. Je n'ai pas connu mes enfants, je commence seulement à faire leur connaissance. À mon mariage, le prêtre a dit à ma femme qu'elle devait réaliser que j'étais avant tout marié avec mes fleurs.»

Mais désormais, vous allez davantage vous concentrer sur les jardins?

«Mon métier est très éprouvant physiquement. En revenant de mon dernier voyage au Japon, j'étais tellement épuisé dans l'avion que j'ai pu dormir dans le lit du pilote. Créer des jardins est un remède contre le côté éphémère de mes activités quotidiennes aujourd'hui.»

Quel est le conseil en or du maître en personne pour conserver au mieux les fleurs?

«Cela dépend de chaque fleur distinctement. J'ai ainsi un truc pour conserver les pavots, mais je ne vais pas le révéler. La fleur la plus vendue, la rose, est suicidaire. Dès qu'elle est coupée, elle commence à sécréter des phénols. Le grand truc, c'est de la tailler en diagonale avec un couteau très tranchant, de changer l'eau tous les jours et de la recouper à nouveau. Si vous voulez que les fleurs s'ouvrent bien, vous devez simplement mettre du sucre dans l'eau et elles s'ouvriront parfaitement.»

Les gens ici en Belgique achètent-ils trop peu de fleurs?

«Ici, les gens achètent des fleurs pour les offrir. Les Hollandais achètent des fleurs pour leur propre intérieur. Les Japonais achètent des fleurs à la fois pour la maison et pour offrir.»

Nous pouvons donc améliorer un peu nos mentalités?

«Qui suis-je pour changer les Belges? (rires) Ici, on gaspille souvent les fleurs. Au Japon, on traite les fleurs comme nous faisons avec les pralines. Les prix y sont aussi à l'avenant.»

Quel est votre plus grand péché?

«Il m'arrive assez souvent d'aller au café à Saint-Nicolas et je suis un grand amateur de bières belges.»

Vous êtes donc un ambassadeur belge dans l'âme?

«Je pense que j'ai fait connaître la Duvel au Japon. (rires)»