Au théâtre cette semaine - 23 octobre 2015

par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Coup d'oeil critique sur la programmation théâtrale du moment.

Le Repas des Fauves

« Tout est pardonnable quand il s'agit de sauver sa vie. » Cette phrase prononcée par Victor au climax du « Repas des Fauves », elle a traversé l'esprit de chacun des sept personnages. Amis, ils s'étaient réunis pour oublier la guerre le temps d'une soirée (nous sommes en 1942) et fêter l'anniversaire de Sophie. Mais lorsque deux soldats allemands sont abattus sous les fenêtre de cet appartement parisien, l'ambiance va en prendre un sérieux coup. Un commandant SS (Lucas Tavernier) souhaite prendre des otages en représailles de « l'attentat ». Il laisse deux heures à la bande à désigner et donc sacrifier deux d'entre eux. Le dilemme est dramatique et viendra mettre à mal les liens, si précieux en cette période sombre, qui unissent ces femmes et ces hommes.

L'astuce de Vahé Katcha, auteur de cette pièce des années 60, est d'avoir combiné les caractères : le jeune couple tranquille (Dominique Rongvaux et Christel Pedrinelli), le médecin qui ne voit pas de mal « à se couvrir avant que le temps ne change » (Marc De Roy) tout comme ce vendeur d'acier bon vivant qui n'hésite pas à commercer avec l'occupant (Michel Poncelet, en grande forme). Nous avons aussi le prof de philo gay (Fabrice Taitsch), le jeune gars revenu du front après y avoir perdu la vue (Denis Carpentier) et enfin, la veuve de guerre aux charmes certains et résistante (Stéphanie Van Vyve).

Ph. Fabrice Gardin

Tour à tour, tous vont devoir dévoiler des secrets, pas toujours glorieux, au cours d'un huis-clos qui révélera les courages mais surtout les lâchetés de chacun. Avec une mise en scène et un scénographies classiques, posant les personnages et les événements tels qu'ils sont, Alexis Goslain parvient à faire monter la tension au cours de ce jeu de la courte paille machiavélique grâce à une distribution solide et une adaptation de Julien Sibre, qui a fait ses preuves sur les planches parisiennes. Le spectateur ne pourra s'empêcher de s'identifier à ces personnages, en se posant la question : de quoi sommes-nous capables, lorsque la peur nous accule ?

L'Homme du Hasard

À quoi pensent les passagers d'un train pendant un long voyage ? L'homme et la femme assis face à face dans ce Paris-Francfort se connaissent, et pourtant, ils ne se sont jamais rencontrés. Lui est romancier. « Amer ! » est son premier mot. Dans un monologue intérieur, il questionne tout au long de cette pièce la leçon de sa vie : ses enfants aux choix de vie si incompréhensibles, ses relations aux femmes et ses amis qui le « trahissent ». Ronchon, il soliloque, le regard perdu à travers la fenêtre du compartiment. Il ne sait pas que face à lui voyage l'une de ses plus fidèles lectrices. Elle vient de perdre un ami cher et les hommes l'ont quelque peu désespérée. Elle rayonne toutefois. Avoir en face d'elle l'auteur des mots qui ont redonné sens à sa vie lui redonne confiance en l'amour. Mais comment aborder quelqu'un qu'on aime par le seul biais de son écriture ?

Dans ce faux dialogues de sentiments contenus, l'auteure Yasmina Reza utilise encore une fois l'art et l'objet artistique comme lieu et moyen de confrontation des sentiments de ses personnages. Dans « Art », c'était l'art contemporain. Ici, dans « L'Homme du Hasard », c'est le livre. Bruno Emsens, metteur en scène, peut compter sur deux comédiens d'envergure, Christian Crahay et Jo Deseure. Lui est parfait en tempétueux grognon et elle tempère par sa grâce et sa douceur, à l'énergie diffuse. Deux marionnettes, doubles des personnages, s'animent des quelques mots réellement échangés de ce face-à-face. Aussi magnifique soit ce duo, le texte, au rythme assez lent, nécessite toute notre attention. Et le petit espace (40 places) du théâtre Le Boson à Ixelles le permet par la proximité extraordinaire avec les acteurs.

C'est quand la délivrance ?

Ph. D. R.

Vous avez déjà dû la ressentir cette gêne ? Quand dans une conversation banale surgit la question : « Et toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? ». Le rouge envahit les joues de l'interlocuteur, et timidement, il répond qu'il est sans-emploi. Quand il n'élude pas la réponse par un « J'ai quelques projets mais rien de concret », comme forcé de ne pas vouloir apparaître comme un dilettante, « un parasite ». À une époque où la course au travail nous presse comme des citrons, ne pas en avoir apparaît comme une tare stigmatisante, notamment lorsque l'on est artiste et victime d'un statut aux détours administratifs complètement absurdes.

Jeune auteur et metteur en scène, Laurent Plumhans l'illustre dans toutes une série de situations qui s'est présentée à lui et à ses comédiens lors de leur toute jeune carrière. Au fil de séquences et de sketches, ils vont tirer de ces moments gênants avec une possible rencontre amoureuse ou avec un représentant obtus de l'Onem, l'absurdité d'un système, qui laisse sans voix.  Dynamique dans son déroulement et convaincant dans le jeu et son contenu, « C'est quand la délivrance ? » poursuit une tradition déjà reconnue du Conservatoire de Liège à privilégier ce théâtre du réel. L'humour et la forme séquencée, comme des instantanés, font passer le message avec d'autant plus de force. Prometteur !

Entre rêve et poussière

Ph. D. R.

Autre jeune projet au Théâtre Le Public, « Entre rêve et poussière » traite le délicat sujet du harcèlement scolaire. Vécu par son auteur David Daubresse, ce problème naît chez ses enfants inadaptés au système scolaire, trouvant dans l'imaginaire plus de pistes d'épanouissement que dans le contraignant apprentissage des tables de multiplication et des règles de grammaire. « Si tu ne réussis pas à l'école, tu ne feras rien de ta vie ! » Ici aussi la pression sociale est constante sur ces enfants différents qui subissent en plus des stigmatisations de leur entourage un traitement médicamenteux (la Rilatine souvent) extincteur de toute vivacité. La situation se traduit ici dans le rêve d'une petite fille qui n'a d'autre rêve que d'être danseuse mais déçue de décevoir son père, veuf et un peu paumé, par ses médiocres résultats scolaires. Enseignant et psychologue conduisent sans s'en rendre compte un inlassable rouleau compresseur moralisateur inadapté.

Si la pièce parvient à introduire un débat qui se poursuit avec des spécialistes et des témoins après le spectacle, elle ne parvient pas à convaincre totalement sur le plan purement théâtral. En avoir fait un spectacle grand public (dès 8 ans) est certes louable mais apparaît malheureusement assez scolaire dans son exécution, malgré quelques trouvailles scénographiques (notamment de belles projections).

Nicolas Naizy