Rencontre avec Albert Uderzo, l'un des pères d'Astérix

par
Nicolas
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C'est un monument de la bande dessinée. Après avoir été pendant plus de 40 ans seul aux commandes d'Astérix, Albert Uderzo a définitivement laissé son bébé à d'autres auteurs. S'il a reposé la plume, il nous a confié ses impressions sur le succès toujours important du héros gaulois qu'il a créé avec le regretté René Goscinny.

On le voit souriant avec toujours autant de malice dans l'œil. Âgé de 88 ans, Albert Uderzo est fier aujourd'hui d'avoir laissé son «bébé» entre de bonnes mains. Attendu jeudi en librairies, «Le Papyrus de César» sera le deuxième album sur lequel le dessinateur originel de la série n'a posé autre chose que son regard bienveillant. Mais l'attente que suscite à chaque fois un nouvel album d'Astérix l'impressionne -une attente orchestrée aussi par un solide plan de com', ou le secret et l'exclusivité font loi. «Goscinny et moi étions des clowns, des humoristes», nous confie-t-il à la sortie de la conférence de presse dévoilant la couverture du 36e album. «Notre seul plaisir était et est d'amuser le lecteur. On ne savait pas du tout à quoi cela aboutirait. Si on avait su tout ça, on aurait eu très peur.» Et lui-même de revenir sur le départ un peu improvisé d'une série qui vend aujourd'hui chaque nouveau titre à quelque deux millions d'exemplaires dans toute la francophonie.

Ph. D. R.

Car si Astérix voulait incarner à sa naissance, en 1959, une «certaine idée du folklore français», le héros au casque ailé fait aujourd'hui partie intégrante de celui-ci. «Pourtant au départ, il n'était pas question de cela. Nous voulions démontrer que les Américains n'étaient pas les premiers à exploiter les animaux. Pourtant il y avait Ésope, La Fontaine, etc. On voulait donc s'attaquer au ‘Roman de Renart' (écrit médiéval essentiel dans l'histoire de la littérature… française, ndlr.). Il n'y avait rien de plus français que ça.» Vous connaissez la suite pour l'avoir découverte dans le premier article de cette série consacrée à Astérix: l'adaptation avait déjà été faite et une discussion enjouée entre les deux auteurs a donné naissance à la série. «On était à trois mois de la parution du nº1 du journal Pilote pour lequel on devait travailler. Le créateur du journal se plaignait de voir dans les journaux beaucoup de séries américaines. C'est pourquoi il a créé ce journal contenant des séries françaises.»

On le sait, le succès fut rapide. Le savant mélange d'histoire, d'humour et d'aventure a fait mouche auprès d'un large lectorat. Les jeunes s'amusaient des péripéties d'Astérix et Obélix, les adultes décelaient une habile caricature de la société française. Mais il est difficile pour Uderzo d'expliquer de quelle manière s'est introduit l'anachronisme humoristique dans leurs albums. «De Gaulle était arrivé un an avant nous en tant que Président de la République. L'occupation allemande et la guerre nous ont beaucoup marqués pendant l'enfance. On a voulu transposer ça à l'époque gauloise sans savoir que 70 ans après, on nous poserait des questions là-dessus.»

Le respect du lecteur

L'histoire aurait pu s'arrêter après le 10e album. «Goscinny m'a dit alors: ‘Albert, je crois qu'on a tout dit'.» Faux, démontrera l'Histoire. Le duo poursuit jusqu'en 1977, année de la disparition prématurée du scénariste, auteur de nombreux succès («Le Petit Nicolas», «Lucky Luke», «Iznogoud», etc.). Il faudra du temps à Uderzo pour se remettre de la perte de son ami. «Il m'a fallu deux ans pour me remettre de sa disparition. Les médias m'avaient complètement oublié. J'ai eu un sursaut d'orgueil pour non seulement continuer à dessiner, mais aussi écrire et m'éditer moi-même. Je suis partie dans une envolée lyrique. Je me dis aujourd'hui que j'aurais pu m'écraser et on m'aurait applaudi. Mais les lecteurs m'ont suivi. Ils m'ont poussé aussi à faire la reprise que je ne voulais pas faire à 100 % après la mort de Goscinny.» À la succession artistique s'ajoutent de délicats conflits en interne sur la gestion de ce qui est alors de venu un patrimoine qui génère beaucoup d'argent. Albert Uderzo n'aime pas revenir sur les épisodes qui ont divisé sa famille.

AFP / B.Guay

Aujourd'hui, il préfère s'amuser de ce que les repreneurs de la série, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, ont fait de ses personnages. Selon ces derniers, «Albert» est toujours de bon conseil tout en restant discret. L'important pour le dessinateur retraité, c'est que les lecteurs suivent et ne se sentent pas floués. Les fans d'Astérix sont exigeants. «Le lecteur n'agit pas directement sur la série, mais si elle ne lui plaît pas, il le fait savoir. C'est toujours le danger pour une œuvre arrivée si haut, on se demande toujours si ça va chuter.» Des lecteurs tyrans, mais fidèles. «Oui, parce qu'ils ont trouvé ce qu'ils demandaient à voir. Le seul reproche qu'on m'a fait, c'est que le banquet en fin d'album se passe sur le bateau de Cléopâtre.» Et les pirates, personnages secondaires tellement réclamés, «on arrivait à les placer même quand il n'y avait pas de mer». «L'important, c'était d'amener certaines choses déjà vues, tout en modifiant la manière de les traiter. Les lecteurs n'auraient pas accepté qu'il soit fait autrement.»

Passer le relais ne fut pas simple. Il a fallu un déclic. «Je n'ai pas voulu être égoïste. Je me suis arrêté il y a cinq ans. J'avais 83 ans, un bel âge pour prendre sa retraite. Je me suis dit qu'il fallait tenter quelque chose», nous confie celui qui n'a plus repris la plume depuis plusieurs années. «Non, c'est fini. Je ne sais même plus si je peux encore dessiner comme je l'ai tant fait.» Une dernière réponse qui pourrait paraître mélancolique si elle ne s'accompagnait pas d'un grand sourire, marque de fabrique de celui qui a enchanté des générations.

Nicolas Naizy