Piet Hein Eek: Design pour tous

par
Laura
Temps de lecture 3 min.

A partir de 2017, les créations de Piet Hein Eeek seront dans les rayons d'ikea. Rien d'étonnant en soi ? Si, tout de même, acr le grand designer néerlandais est connu pour ses créations uniques, qui sont en outre produites à petite échelle dans une usine d'Heindoven. Un entretien exclusif avec le roi du design néerlandais.

Qu'est-ce qui vous a convaincu de faire cela ?

?"Après avoir rencontré les gens d'Ikea à plusieurs reprises, je me suis dit que ce serait bien. Le plus important, c'est de pouvoir faire ce qu'on aime à une échelle qui, normalement, est hors de portée. On peut faire des produits avec des techniques et dans des quantités qui, normalement, ne font pas partie de nos possibilités, ce qui permet de travailler pour un public extrêmement large."

?Mais ce que vous faites chez Ikea est le contraire de ce que vous faites normalement. Comment l'expliquez-vous?

"Nous sommes très petits, c'est ça qui contraste en effet. Mais le processus créatif que nous suivons tous les deux est identique. Nous réfléchissons de façon efficace à chacun des aspects du produit final et utilisons le plus possible des matériaux durables."

??À quoi peut-on s'attendre pour 2017?

"La première collection n'est pas entièrement conçue par moi. C'est tout simplement la collection Ikea traditionnelle dont je fais une partie. Je suis ainsi allé en Indonésie pour développer des meubles en rotin. Normalement, cela n'entre pas dans nos possibilités. Durant ces négociations, nous sommes arrivés à la conclusion que ce serait beaucoup plus chouette de créer une collection Piet Hein Eek pour l'ensemble des divisions d'Ikea. Pour donner un peu corps à la proposition, j'ai déjà dessiné 10 à 12 concepts. Nous allons continuer à travailler là-dessus à partir de la semaine prochaine."

Est-il difficile de travailler dans la gamme de prix d'Ikea?

"Non, au contraire, chez nous ici, à Eindhoven, c'est le point de départ de toute création. Comment parvenir le plus efficacement possible de l'idée à la réalisation? Et puis, c'est d'office plus cher parce que nous produisons dans un pays aux salaires élevés. Comme nous fabriquons des pièces uniques, nous n'avons pas la possibilité de produire plus en peu de temps. Mais dans ce cadre difficile de petites quantités et de coûts élevés, c'est quand même chaque jour un défi de tout faire de la manière la plus efficace possible. Et c'est pareil chez Ikea. Je me sens très à l'aise avec cet accord."??

Vous êtes connu pour faire de belles choses avec des déchets. Comment les Suédois réagissent-ils à ça?

?"Ils sont conscients du fait que le bois de récupération, avec lequel nous travaillons, est un de nos piliers. Ils ne prennent pas ça comme point de départ, mais plutôt le fait que j'utilise le matériau, la technique et l'artisanat comme source d'inspiration.»?"

Est-ce aussi une manière de redorer le blason d'Ikea?

"C'est certainement une manière, mais alors la question est plutôt de savoir si c'est pour ça qu'ils le font? (rires) Je suppose que non. Ce n'était même pas le but au préalable d'adopter une approche aussi large. Je pense qu'on peut dire que la mission qui est maintenant sur la table résulte surtout des contacts humains, de l'intérêt et de la curiosité de travailler ensemble.»?"

Avez-vous jamais eu des meubles Ikea chez vous??

"Oui, comme tout le monde. Quand j'avais 14 ans, ma chambre était meublée en Ikea. Je ne sais pas ce que ces meubles sont devenus, mais on n'a pas dû les jeter parce qu'ils étaient cassés. C'est de la qualité.?"

Tous ces meubles suédois que nous avons chez nous ne pourraient-ils pas servir aussi de matière première ou cela ne va-t-il pas jusque là?

"Chez moi, c'est la matière première qui est l'inspiration, non pas la réutilisation des produits. Le bois de récupération que j'utilise provient de l'architecture. Cela ne m'intéresse pas de donner une nouvelle vie à un vieux pantalon, une vieille tasse, table ou chaise."

??Quels sont les objets auxquels vous accordez beaucoup d'attention dans votre vie privée?

"Ce qui compte pour moi, c'est la vie quotidienne. La table longue, où l'on s'installe tous pour manger, est le point de départ de toute maison dont je m'occupe. Nous avons donc beaucoup de grandes tables dans la collection. Mais cela ne doit même pas être une table. Cela peut être aussi une porte sur une paire de tréteaux avec des caisses à bière. C'est tout aussi sympa. Pour moi, les gens sont plus importants que les objets. Si ces objets contribuent au bien-être, alors vous avez bien fait votre boulot. Mais je ne suis pas le genre de personne à décorer ma maison avec tel objet à gauche, tel objet à droite et quelques photos bien symétriques. L'aspect social de l'habitat est pour moi le plus important. Certaines personnes aiment ce qui est très minimaliste et bien ordonné et pour d'autres, c'est une atmosphère de café qu'ils préfèrent. Chez moi, c'est surtout éclectique, mais avec l'accent sur la fonctionnalité."

Qu'est-ce qui vous inspire lors de vos voyages à l'étranger??

"Je suis extrêmement heureux de vivre aux Pays-Bas. C'est le sentiment le plus important que je garde de tous mes voyages. Je préfère être à la maison, car je suis alors près de la production, de l'usine et des gens. Quand vous passez du temps chez vous, les choses se déroulent de manière beaucoup plus souple que lorsque vous êtes loin."

??Lorsqu'on passe la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas, on voit tout de suite une grande différence de style. Comment interprétez-vous cela??

"Anvers ou la Belgique sont plus axées sur l'habillement et les voitures. Dans le domaine du design, la mode est beaucoup plus importante chez vous qu'aux Pays-Bas. Alors qu'aux Pays-Bas –?et ça, c'est bel et bien dommage pour les femmes surtout (rires)–?l'habillement a moins d'importance. Aux Pays-Bas on s'intéresse beaucoup plus à la déco intérieure. La Belgique est plus tournée vers l'extérieur: bien manger, une bonne voiture et de beaux vêtements. En Belgique, la déco intérieure s'inspire beaucoup plus d'une approche classique d'un design vintage. Mais le design moderne commence à apparaître aussi, lentement mais sûrement."

??Y a-t-il alors encore beaucoup de travail en Belgique pour Piet Hein Eek?

?"Les uns veulent un intérieur qui ressemble à un café, les autres un design minimaliste. La question est de savoir si cela peut se concilier. Je pense que, dans le monde entier, les gens deviennent plus sensibles à toutes les possibilités de déco et plus éclectiques. Il y a donc de grandes chances que l'on veuille une toute autre déco intérieure en Belgique. Mais cela vaut aussi pour les Pays-Bas. Je pense que le marché grandit. Nous vendons des tables à Tokyo et à Tel Aviv. Tout se mondialise davantage."

??Le grand public va désormais apprendre à connaître votre nom. Est-ce que cela vous fait planer?

"Non, quand votre nom est votre marque, c'est comme ça que ça se passe. Nous avons délibérément choisi d'associer le nom de la marque à mon propre nom parce que les designers bénéficient tout simplement de plus attention. Toute l'attention que l'on vous porte est du coup aussi de l'attention pour la marque. Les gens aux Pays-Bas sont assez réservés par rapport à la notoriété. Cela doit sans doute être typiquement calviniste de dire ‘restons simples, ok'."