Au théâtre cette semaine - 9 octobre 2015

Ajax
par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

« Ajax » est le troisième volet entamé en 2008 par la compagnie Khroma autour des relectures des tragédies par le poète grec, censuré pendant les dictatures de Metaxas (1936-1941) et des colonels (1967-1974), Yannis Ritsos. Après Ismène et Phèdre, Marianne Pousseur incarne pour la première fois un homme, une question du genre qui n'est en rien anodine dans la réflexion qu'elle a menée avec son compagnon de route Enrico Bagnoli dans la construction du spectacle.

Rappelons qu'Ajax est la figure-type du héros grec avec la particularité de n'avoir jamais vu sa bravoure justement récompensée. Jouet des dieux, comme c'est souvent le cas dans ce genre d'histoire, son orgueil sera blessé parce qu'Ulysse lui sera préféré et il sombrera dans la folie après avoir tué des moutons, les ayant pris pour les combattants des Atrides.

Ph. Marco Sallese

Dans le monologue qui nous est proposé au Petit Varia, la comédienne interprète un combattant pris de paranoïa et conscient du sort funeste qui l'attend. Sa virilité et sa réputation sont mises en cause par les événements malgré lui. S'adressant à une interlocutrice muette, Ajax chuchote ses angoisses et ses colères dans une environnement sombre et confiné, tel un intérieur où ne passe que de timides rayons de lune.

Soulignons d'ailleurs la superbe scénographie ainsi que le jeu de lumières qui donnent du relief à un texte exigeant et méritant une attention de tous les instants. Miroirs, tôles vrombissantes et rais de lumière structure l'espace et le temps de cette performance chuchotée. Chanteuse et musicienne, Marianne Pousseur rythme son monologue d'airs tantôt tribaux, tantôt plus lyriques. Les mots de Ritsos bénéficient d'une déclamation précise mais aussi d'un ton un peu trop monocorde à notre goût.

Rire, please...

Le TTO a 20 ans ! C'est l'occasion pour Nathalie Uffner, maîtresse des lieux depuis sa naissance, de convier le public à un spectacle où elle ne peut s'empêcher de donner son point de vue sur le milieu théâtral (règlement de comptes?) et la place que s'est faite le Théâtre de la Toison d'Or dans le paysage culturel.

La première partie du spectacle, la meilleure selon nous, singe un talk-show culturel de fin de soirée sur une chaîne publique. Interprétée par Soda, voix mythique de Radio 21 qui fait ici son retour à l'avant-scène, l'animatrice a de quoi mettre mal à l'aise, de son ton pédant, celle qui n'a toujours voulu faire que rire les spectateurs. Égrainant ses souvenirs, Nathalie Uffner revient sur son passage au Conservatoire (apparemment Claudel l'a traumatisée) et sa rencontre avec sa bande. Laurence Bibot, Antoine Guillaume, Aurélio Mergola, Julie Duroisin et Emmanuel Dell'Erba poussent la caricature jusqu'à singer une mise en scène du théâtre sérieux ou encore la cérémonie d'apprence guindée des Prix de la Critique.

Avec « Rire please... », le TTO souhaite balayer les « sinistres » qui auraient dénigré son goût pour l'humour et la légèreté. Si on accepte la critique envers la presse et les piques grinçantes envers un monde théâtral (par moment replié un peu sur lui-même et fonctionnant par « famille »), la caricature s'avère parfois très poussive et semble refléter une réalité ancienne.

Toutefois, le spectacle nous réserve quelques bons passages et conserve les ingrédients du succès du TTO, un humour urbain, certains personnages bien sentis (Julie Duroisin parfaite en maquilleuse stagiaire), de la musique et des chorégraphies enjouées.

Wijckaert, une bombe

Martine Wijckaert n'est plus. Celle qui sévit sur nos scènes avec force et vigueur depuis 40 ans vient de se faire exploser dans le hall d'une vénérable institution théâtrale. En héritage, elle laisse son enfant, le théâtre de la Balsamine, à trois de ses comédiennes fidèles – Véronique Dumont, Yvette Poirier et Héloïse Jadoul. Le lieu redevenu squat artistique et dernier vestige d'une liberté créatrice sans entrave apparaît pourtant comme le théâtre (sic) d'un déchirement entre trois générations théâtrales, incarnées par le trio, qui doivent faire face à un désengagement des pouvoirs publics dans la culture.

"Nous sommes des singes de laboratoire, et nous le resterons", écrit-elle dans ce pamphlet défendant une création artistique qui ose prendre des risques. Par la voix de son notaire interprété par un excellent Claude Schmitz, l'auteure et metteure en scène leur confie également la mission de répéter son geste radical dans d'autres implantations d'un capitalisme sauvage et désenchanté.

Ph. Hichem Dahes

Tout y passe dans « Wijckaert, une bombe », qui se défend d'être un théâtre testamentaire sinon par truchement scénaristique : le monde culturel ‘institutionnel', les partis politiques, la presse, la finance institutionnel,… Martine Wijckaert tient "à foutre le bordel avec professionnalisme"  et "opposer un terrorisme ludique" à ces détenteurs d'une "tyrannie du vide".

Dans ce texte au langage fleuri mais poétique, elle prolonge un cri du coeur qu'elle avait déjà lancé dans plusieurs de ces discours. Dans un climat de tensions budgétaires et où le paysage théâtral risque de connaître quelques changements, Wijckaert pointe justement les maux d'une société qui néglige ses artistes. On regrettera simplement un jeu "farcesque" parfois trop poussé et une première partie qui tourne un peu en rond jusqu'à l'arrivée du notaire. Le travail sonore de Thomas Turine habille cependant avec finesse et humour l'ensemble.

Nicolas Naizy