Yasmina Khadra: La dernière nuit de Kadhafi

par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Pour son dernier roman «La dernière nuit du Raïs», Yasmina Khadra s'est mis dans la peau de Mouammar Kadhafi. À travers le récit -écrit à la première personne- de la dernière nuit du tyran libyen, l'auteur nous dresse un portrait universel des dictateurs déchus.

Pourquoi avoir choisi Mouammar Kadhafi et pas un autre dictateur?

«Les autres dictateurs ne m'intéressaient pas. Saddam Hussein était un homme violent, qui avait une vénération terrifiante pour le sang et la torture. Il aimait regarder l'exécution de ses opposants. C'était pour lui un véritable divertissement, qui lui donnait le sentiment d'être un tout-puissant. Ben Ali n'était qu'un voyou. Tous ces dictateurs étaient des criminels. Avec Kadhafi, c'est tout simplement autre chose. Il est devenu un tyran malgré lui. Il est arrivé au pouvoir, au départ, avec beaucoup de bonnes intentions. Il a fait rêver toute une jeunesse. Il était beau et d'une naïveté presque biblique. Mais en l'espace de quelques années, il a changé. Et c'est ce changement qui a fait de lui un personnage unique, paradoxal et pluriel. Il était dans la contestation des autres et de lui-même. Il était également dans le culte. Il a perdu de vue la réalité.»

C'est un portrait complexe que vous nous livrez.

«Je n'aime pas les étiquettes, les stéréotypes et les clichés. Kadhafi a été défini par un seul vocable: ‘tyran'. Des tyrans, il y en a partout. Ce qui m'intéressait pour mon livre, ce n'était pas la tyrannie mais plutôt la transformation d'un être humain qui avait, à la base, une noble mission et qui se retrouve en train d'exercer une répression abominable.»

Kadhafi pense avoir tout fait pour son peuple. Il ne comprend pas pourquoi ce dernier se rebelle contre lui.

«Oui, il le pense! Pour lui, le peuple lui a menti car il l'acclamait partout, il l'idolâtrait alors qu'en réalité, tout ça n'était qu'hypocrisie, une hypocrisie du courtisan et de profiteur. Il ne pouvait pas savoir qu'il était dans l'erreur tant que le peuple l'acclamait.»

Par ailleurs, vous le décrivez comme étant mégalomane, meurtri par rapport à sa relation avec son père, manipulateur, etc.

«La littérature sert exactement à cela. Elle permet au lecteur de s'échapper du diktat des médias. Quand on est dans le journalisme, on est dans le scoop, on veut être le premier. Un roman permet de faire un arrêt sur image. L'auteur a le temps de cerner le personnage, de comprendre son cheminement. On a plus le temps de réfléchir à une déclaration, à l'analyser.»

Que pensez-vous de la situation libyenne actuelle?

«C'est catastrophique. L'initiative de l'Otan et de la France est un fiasco. Lors d'une interview accordée à l'époque à De Spiegel, j'avais prédit ce qu'il allait se passer. Pas besoin d'être un visionnaire, les choses parlaient d'elles-mêmes. La Libye est un pays construit sur des tribus qui ne s'entendent pas. Kadhafi les obligeait à s'entendre. Pour moi, les Occidentaux ont fait tomber Kadhafi non pas parce que c'était un tyran vis-à-vis de son peuple, mais parce qu'il ne respectait pas ses engagements vis-à-vis d'eux. Kadhafi, c'était la carotte ou la pierre philosophale pour les Occidentaux. Il leur faisait miroiter l'acquisition de plusieurs centrales nucléaires, l'achat d'un équipement militaire sophistiqué. Mais Kadhafi ne signait rien. Alors il fallait mettre quelqu'un d'autre à sa place, quelqu'un qui voulait bien partager la galette libyenne avec l'Occident.»

Dans votre roman, vous lui faites même dire: «L'Occident tapissait mon chemin de velours (…). Aujourd'hui, on me traque sur mon propre fief.»

«Par contre, le peuple occidental n'a jamais été d'accord d'absoudre Kadhafi de ses crimes, de le recevoir comme s'il était quelqu'un de recommandable. Le peuple comprend très vite ce qui se passe parce qu'il reste sur une certaine éthique à laquelle le politique renonce pour servir ses intérêts économiques.»

Votre roman, comme son nom l'indique, retrace la dernière nuit de ce chef d'État. Comment vous êtes-vous documenté?

«Les anecdotes que je mentionne dans mon livre proviennent de témoignages des proches de Kadhafi. Mais ce que je voulais avant tout, c'était d'écrire une œuvre littéraire. Mon livre n'est pas un reportage ou une biographie.»

Quand un écrivain se confond à ce point avec son personnage, sort-il indemne de l'écriture?

«Il en sort parfaitement indemne! Il est souverain. Il sait ce qu'il fait: une fiction.»

Dans «La dernière nuit du Raïs», Kadhafi est hanté par Van Gogh…

«C'est une intrusion volontaire, une invention. Il me fallait un repère artistique pour la chute de mon roman. Une chute qu'on ne dévoilera pas!»

En quelques lignes

Lorsque l'on reçoit un nouveau roman de Yasmina Khadra, on sait qu'on va le dévorer! Sa dernière œuvre littéraire est, une nouvelle fois, un véritable bijou qui nous fait plonger dans la tête d'un des dictateurs les plus connus et meurtriers de l'Histoire, Mouammar Kadhafi. Écrit à la première personne, «La dernière nuit du Raïs» retrace les dernières heures de l'ancien chef libyen, de ses angoisses à ses sautes d'humeur. L'heure est à l'introspection. Mais celui qui est persuadé que ses actes ont été dictés par la Voix se remettra-t-il en question alors que les bombardements s'abattent sur lui? Rien n'est moins sûr… Que peut penser un tyran mégalomane et sanguinaire à quelques heures de sa mort? C'est ce qu'a imaginé Yasmina Khadra dont la plume est toujours aussi incroyable.

«La dernière nuit du Raïs», de Yasmina Khadra, éditions Julliard, 216 pages, 18€

Cote : 5/5