"Les femmes s'emmerdent au lit": Désir et féminisme, un accord possible

par
Laura
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L'évolution de la société a-t-elle bridé notre sexualité? Selon Sonia Feertchak, aujourd'hui les femmes s'ennuient au lit. Tiraillée entre ses idées féministes et son désir, la «féminette» n'ose plus plaire. Alors que séduction et soumission sont reléguées aux oubliettes, elle doit faire face à des «nouveaux garçons», dont la virilité fait également faux bond. Pour autant l'auteure, l'affirme, il est possible de combiner féminisme et pratiques sexuelles débridées.

«Les femmes s'emmerdent au lit», le titre est sans équivoque. Pourquoi aborder ce sujet?

«Aujourd'hui, quand on parle de sexualité, il s'agit soit de domination masculine, soit de quelque chose de très technique, issu de la culture porno. Je me suis rendu compte, que le désir était complètement évincé alors même qu'il a envahi la sphère sociale et médiatique. C'est un sacré thème de société. C'est un sujet léger mais finalement cela touche chacun à un endroit très profond. Il y a une tension intérieure que l'on peut ressentir entre le fait qu'on est sujet, qu'on est des individus et que l'on peut avoir des envies d'être plus femme objet, de se parer, de séduire.»

Vous appelez «féminettes», celles qui sont vraiment tiraillées entre les deux.

«Oui, ce sont des femmes qui sont à la fois féministes, d'une génération élevée comme des garçons -‘On est des sujets, on choisit nos études, notre boulot, on essaie de décider de notre vie comme les hommes'-, mais qui ont tout autant envie de séduire, de se parer, de plaire. Tout le monde a envie d'être aimé ce n'est pas un mal, mais on se retrouve tiraillé, on se sent coupable.»

C'est aussi un problème qui touche les hommes, que vous appelez les «nouveaux garçons». Vous n'êtes pas tendre avec eux.

«Ils sont de très bonne volonté, ce sont des mecs biens. Simplement ils ont intériorisé les femmes non pas en tant qu'individus mais en tant que concept. Et du coup ils n'osent pas montrer leur désir et ça devient fade. C'est eux que j'appelle les nouveaux garçons.»

Vous dites qu'en quelque sorte les hommes ont perdu leur virilité avec l'évolution de la société et de l'égalité des sexes.

«Les hommes ont bien raison de ne pas vouloir être virils comme ceux d'il y a 100 ans. Ils sentent que leur virilité a évolué mais personne ne l'a redéfinie. Ni les hommes, ni les femmes. Il faut redéfinir la virilité en la débarrassant des oripeaux de la société patriarcale.»

Selon vous, du côté des femmes, les pratiques sexuelles de soumission sont compatibles avec des idées féministes.

«Se dire qu'on peut être tout à fait féministe et ne pas trahir la cause des femmes en étant séductrice, cela déculpabiliserait. Souvent les femmes se disent que si une femme est très séductrice, elle va être une rivale vis-à-vis des autres femmes. Mais on peut tout à fait aimer plaire et ne pas être une énorme garce pour autant. En fait, c'est surtout la culpabilité qu'il faut ôter. Celles des hommes d'éprouver du désir, et des femmes d'être séductrice et glamour.»

Vous qualifiez le phénomène «50 nuances de Grey» d'œuvre «magistralement réussie» qui «met en scène nos «dilemmes sexuels contemporains» tout en décrivant l'héroïne comme post-féministe.

«Là où elle est effectivement magistrale, c'est que E. L. James résout le problème de la ‘féminette' et du nouveau garçon. Anastasia imaginée en féministe fait sourire, mais il n'empêche que le combat féministe est très loin derrière elle. Elle fait les études qu'elle veut, elle entend gagner sa vie, choisir son amoureux, c'est une fille ‘neuneu' mais libre. Elle se trouve complètement prise en tension entre cette liberté qu'elle revendique et en même temps quand il commence à la cravacher, à l'attacher, elle adore ça. Ils finissent par comprendre que du moment où le cadre est posé, les pratiques n'ont plus de significations politiques. Tant que l'on est respecté par notre mari, on peut s'éclater comme Christian et Anna si on en a envie. Cela ne fera pas de nous des lavettes.»

«50 Nuances de Grey» résout le problème de ‘s'emmerder au lit' en quelque sorte?

«Dans le concept, il y a cette idée: peu importent les pratiques du moment s'il y a un respect absolu. Finalement la lutte pour l'égalité des sexes n'a rien à faire dans la chambre à coucher. Elle est tout à fait noble et valable dans la société mais pas dans la chambre à coucher.»

«Les femmes s'emmerdent au lit. Le désir à l'épreuve du féminisme et de la pornographie», de S. Feertchak, éditions Albin Michel, 214 pages, 15€