Thomas Dutronc: Une furtive éternité

par
Kevin
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Fils de Jacques et de Françoise, Thomas Dutronc est désormais un poids lourd du disque en France. Imposer un son d'inspiration manouche était pourtant une gageure, mais son talent et son sourire ont fait le travail. Après s'être un peu trop dispersé dans divers projets externes, il nous revient aujourd'hui avec un 3e album solo « Eternels, jusqu'à demain » qu'il a voulu plus pop.

Le titre de ce nouvel album « Eternels jusqu'à demain », c'est la métaphore d'une vie d'artiste ?

« En fait, on a fait les photos dans une boîte de nuit en Corse qui a sauté. Ça m'a rappelé toutes ces fêtes que l'on peut faire l'été, ces moments qui nous font nous sentir éternels jusqu'à demain. Ça me fait penser à la fête, à la nuit, à la danse, à faire les fous un soir, mais également au temps qui passe. De plus, mes parents commencent à avoir un certain âge et je me dis que, du jour au lendemain, ils peuvent disparaître. Et puis, après la fête, on se rend compte à 40 ans qu'on n'est plus aussi éternel qu'à 20 ans, et de là l'importance de savourer chaque moment. Et je n'avais pas envie de faire un album pour quadras. »

Vous aviez envie d'un son particulier, et vous êtes parti le chercher à Londres.

« Oui, on cherchait à avoir un plus gros son, quelque chose de différent. On a rencontré des nouveaux musiciens. J'avais fait un duo avec Imelda May avec ce producteur, et j'avais beaucoup aimé son travail. Nous sommes donc retournés naturellement vers lui. Il a monté une équipe de musiciens : le clavier de Jamiroquai, le bassiste qui a travaillé avec Sia et Adele, un incroyable batteur, même si on a quand même amené nos talents à la guitare (rires). Ce n'est pas que je ne veux plus faire de manouche, mais j'avais envie d'aller plus loin dans la démarche, vers quelque chose de plus pop et plus rock. Je voulais un premier degré, être plus sincère et moins impertinent ou blagueur. J'ai vécu des choses qui étaient graves et lourdes, et j'avais envie de faire un disque plus profond, qui parle d'amour, mais aussi mettre la voix plus en avant. »

Débuter l'album par un poème d'Aragon quand on va vers la pop anglaise, c'est un peu étonnant.

« Oui, mais la musique correspond bien. Il y a un côté musique de film, british, sixties… Mais ce texte est un hasard. C'est mon pote David Chiron qui me l'a proposé. On a un peu remanié le texte parce qu'il y avait des phrases trop longues. J'aimais l'idée que l'on pouvait s'identifier à ce soldat tout en restant un peu dans le vague. En faisant ce morceau, je pensais à des trucs d'étienne Daho. C'est une chanson hyper romantique et poignante, pas du tout ‘rive gauche' comme on pourrait l'imaginer. Ce n'était pas une démarche littéraire et pompeuse. En fait, j'étais en train d'écrire un texte, il avait une mélodie, on avait besoin d'une maquette à envoyer à Londres, et David a pris le premier bouquin qui traînait à portée de main. Ça correspond bien à l'idée que je me fais de l'art, des gens qui ne réfléchissent pas trop et qui se laissent porter par les bonnes ondes. Et David a un côté carpe diem. »

On croise beaucoup de monde dans cet album.

« J'avais envie de l'ouvrir à mes vieux copains, et ils se sont lâchés. Matthieu Chedid est un ami de

30 ans, j'étais à la fac avec Arnaud Garoux… On se fait des beuveries, on partage des goûts similaires, et on a mûri ensemble. Mais j'avais surtout envie de faire un album plus vite. C'est un peu un hasard si on le sort au bout de quatre ans. On aurait pu le finir il y a longtemps. Mais la maison de disques a un peu traîné. On a perdu huit mois. Puis j'ai fait une pré-tournée acoustique pour tester les chansons. Ça nous a pris un an. Ensuite, l'ingénieur du son n'était pas dispo tout de suite. Et au final, on a fait l'album en moins d'un mois. »

Et puis, il y a eu toutes vos participations sur d'autres albums.

« Oui, voilà. C'était une bonne expérience pour moi, que je ne ferais plus maintenant. Ça prend énormément de temps et de d'énergie, et j'ai envie de me consacrer davantage à mes projets. J'ai eu envie de tout essayer : les Disney, les Renaud, les duos ave Zaz... C'était aussi pour faire plaisir au label, mais là je vais me recentrer. »

Vous faites une reprise de Gainsbourg avec « Chez les yé-yés ».

« Oui, ce n'était pas un hommage à Gainsbourg mais parce que c'est une période qui me plaît. La guitare shadow est très importante pour moi. Et puis, musicalement, c'est un blues. ON ne le joue pas en manouche mais il peut être improvisé sur scène. En tout cas, elle groove, cette chanson. »

Dans une chanson, vous dites « Je ne suis pas de mon époque ». C'est l'impression que vous avez ?

« Ah oui ! Pas depuis l'enfance parce que j'ai écouté beaucoup de rap américain quand j'avais 15 ans. Mais c'est devenu aujourd'hui trop commercial. Et j'ai du mal avec les sonorités actuelles R'n'B. Même s'il y a un côté sincère et touchant dans les textes. Mais une fois qu'on a écouté Bach, Jimi Hendrix, Roy Orbison, les Beatles, Django, Brassens, Souchon, etc., il en faut beaucoup pour être touché. J'ai écouté récemment beaucoup de rockabilly, Elvis, Eddie Cochran, James Brown et Stevie Wonder. Le dernier truc moderne qui m'a plus, c'est The Hives. Je les ai vus au Zenith et j'ai pris une claque. Une énergie hallucinante. »

Vous faites un duo avec votre père sur des paroles qui sont un peu son portrait.

« En fait, c'était une chanson que je lui avais donnée parce qu'il pensait faire un nouveau disque. Puis, je l'ai chantée en guitare-voix lors de ma tournée acoustique et j'ai eu du plaisir. Quand je l'ai écrite, j'ai vraiment pensé à lui, je voulais trouver les bons mots pour un homme de 70 ans qui a toute cette expérience. Il en était  très content. Bon, je ne sais pas quand son disque sera fait, mais je me suis dit ‘faisons-là ensemble', quitte à ce qu'il la refasse lui-même sur son disque. »

Qu'imaginez-vous pour l'album de votre père ?

« Je lui ai dit ‘on se remet au travail quand tu veux'. J'aimerais bien faire bosser mes copains, faire un travail d'équipe et le chapeauter. Mais j'ai tellement de trucs à faire, ma vie privée est compliquée, la tournée, la promo, etc. Si j'avais trois semaines devant moi avec rien, je ne demande que ça. Mais là j'aurai déjà besoin de 15 jours de vacances parce que ma vie personnelle est déjà un peu fatigante. En tout cas, j'ai envie de faire un travail d'éditeur de chansons pour mon père, et rassembler plein de copains pour l'écriture. »

Et ça sortirait quand ?

« Alors là… Surtout qu'avec la maison de disques, c'est comme d'hab'. Qu'est-ce qu'ils nous ont emmerdé avec l'album hommage. Je trouve qu'ils n'ont pas très bien travaillé. La pochette est horrible. Ça devait se faire vite vite vite. Ils n'ont pas vraiment voulu concrétiser les idées originales à part celles avec Annie Cordy sur ‘L'hôtesse de l'air'. Mais ils n'ont pas cherché à contacter des gens comme Johnny Depp ou Lenny Kravitz, des artistes qui aiment mon père et qui sont d'un autre horizon. C'est dommage. Ils nous ont replacé un peu les habituels. à la limite l'émission de télé qui est passé récemment me semblait plus bon enfant. Il y a des bons trucs sur le disque, je ne dis pas qu'il est décevant, mais c'est un peu la manière de travailler que je regrette. »

 

Retour à soi

On l'a croisé dans « Le Soldat Rose 2», dans le « Paris » de Zaz, dans les deux « We Love Disney », dans « La Bande à Renaud », etc. Son dernier disque « Silence on tourne, on tourne en rond » remontait à 2011, et pourtant on le voyait partout. « C'est vrai », nous a-t-il avoué. « J'avais envie de tester plein de trucs, mais aujourd'hui, c'est fini, je veux me recentrer ». Et cela passe par cet « Eternels, jusqu'à demain », qu'il est parti enregistrer à Londres, avec une belle bande de copains pour les textes et quelques pointures musicales pour ce son plus british. Au final, l'album est frais et léger sur la forme, et pourtant plus profond sur le fond. Avec, quand même, quelques discrètes petites pointes de manouche. On ne se refait pas.