Les traducteurs, ces auteurs de l'ombre

par
Laura
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Les Français sont de grands amateurs de littérature étrangère mais ils se rendent rarement compte qu'ils lisent en fait la version, forcément personnelle, établie par le traducteur, ce travailleur de l'ombre. «On a un public en France qui a beaucoup d'appétit pour les traductions» d'ouvrages étrangers, note Christine de Mazières, déléguée générale du syndicat national de l'édition (SNE).

Les traductions représentent 20% de l'ensemble des livres vendus en France et 40%, rien que pour la littérature. Plus de la moitié des titres sont traduits de l'anglais, suivi loin derrière par le japonais (avec la traduction de mangas) et l'allemand, selon le SNE.

Auteurs de leurs traductions

Mais «il y a une sorte d'illusion qui perdure dans l'esprit de beaucoup de gens qui considèrent que la traduction est une opération transparente, neutre, où l'on reproduirait un texte de départ dans une langue d'arrivée, c'est illusoire», souligne Dominique Nédellec, traducteur de portugais venu au Salon du livre avec Michel Laub, auteur brésilien dont il a traduit le «Journal de la chute». «Nous sommes auteurs de nos traductions», explique la présidente de l'Association des traducteurs littéraires de France (ATLF), Laurence Kiefé. «Il n'y a pas plus subjectif, vous écrivez avec votre sensibilité.»

Un travail en profondeur

Cela ne veut pas dire que le traducteur a tous les droits, mais au contraire qu'il doit se couler dans le style de l'auteur pour le retranscrire au mieux. «Ce n'est pas un acte mécanique, mais un travail en profondeur» et «le fait qu'on soit au service du texte nous oblige à des acrobaties qui font le sel de l'affaire», explique Mme Kiefé en souriant. Et il y a aussi aujourd'hui la possibilité pour le traducteur d'échanger directement avec l'auteur. «Le mail nous a changé la vie. Je corresponds presque systématiquement avec l'auteur», raconte Mme Kiefé.

Rémunérations en baisse

Dominique Nédellec, lui, a bénéficié d'une bourse du gouvernement brésilien pour passer cinq semaines à Sao Paulo et travailler avec Michel Laub à la traduction de son roman. «Sans parler de la connaissance pratique de la réalité d'un pays, ça colore et enrichit mon travail», souligne-t-il. «La traduction des mots est moins importante que de retranscrire l'état d'esprit», renchérit Michel Laub.

Ces conditions de travail restent cependant exceptionnelles. Les traducteurs sont des indépendants qui dépendent des contrats signés avec les éditeurs. «Le cas de figure idéal, c'est d'avoir cinq mois» pour traduire un livre, «mais on a parfois des délais assez courts», témoigne Fabienne Gondrand, traductrice de l'anglais.

Elle travaille principalement avec les éditions JC Lattès. Mais «mettre en place son réseau, c'est très difficile au début, comme dans tout métier indépendant», relève-t-elle. En plus, «la traduction anglophone, ce n'est pas ultra pointu, le marché est super saturé». «Nos rémunérations se sont énormément dégradées: on a perdu entre 30 et 40% sur les dix dernières années», en raison du changement du mode de comptage traditionnel du fait de l'informatique, non plus en pages mais en signes, ce qui est souvent moins favorable aux traducteurs, souligne la présidente de l'ATLF. De plus, «il y a un mouvement de fort mécontentement et une angoisse», en raison de la réforme du droit d'auteur envisagée par la Commission européenne, les traducteurs ayant le statut d'auteurs, poursuit-elle.

Pierre Bondil, qui a traduit des livres de Jim Thompson et Dashiell Hammett, plaisante à moitié quand il dit s'attendre à ce qu'un jour un éditeur l'appelle pour lui dire: «Je vous envoie la traduction Google du livre, remettez-moi ça en bon français, et pour la moitié du prix, bien sûr, parce que ce n'est pas une traduction complète.»