Jean Teulé raconte Héloïse et Abélard

par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Nous rencontrons Jean Teulé le temps d'un dîner. Et là, quel bonheur, l'écrivain est à l'image de ses livres: surprenant, marrant, généreux. « Héloïse, ouille ! », c'est le titre de son nouveau roman. Une sortie à ne pas manquer !

Pourquoi avoir choisi comme thème de votre nouveau roman l'histoire d'Abélard et Héloïse ?

« Tous les historiens disent que ce sont les inventeurs de l'amour. Je me suis dit que l'amour était quand même un sacré truc. Alors je trouvais intéressant de connaître la vie de ces deux-là qui ont, dit-on, inventé l'amour passionnel, l'amour total. À cette époque, l'amour était plutôt l'amour courtois, les mariages étaient des arrangements tandis qu'ici, c'est du grand amour, du vrai, du fatal à la Roméo et Juliette, Tristan et Iseult mais en vrai. »

Et en plus passionné et érotique.

« Exactement. En plus vrai ! »

Dans la première partie du livre, vous décrivez toute leur passion, et ce sans tabou.

« Ils étaient comme ça. Dans une lettre qu'il a écrite à un ami, Abélard explique qu'avec Héloïse, ils ont fait tout ce qui était possible de faire. Ils ont exploré toutes les folies possibles. Nous savons aussi qu'ils avaient des plans un peu sado-masos car il a écrit qu'il allait jusqu'à lui donner des coups et que les coups qu'il lui donnait étaient plus doux que des baumes. Par ailleurs, nous savons qu'Héloïse avait instauré une règle dans leur rapport : tout ce que tu me fais, je te le fais. Abélard pouvait faire tout ce qu'il voulait mais elle pouvait lui faire la même chose. »

Comme la fameuse histoire de la carotte. Cet épisode a-t-il réellement existé ?

« Oui, oui. C'était leur truc. Comme je dis souvent, quand Héloïse écrivait des lettres à Abélard, jamais elle ne lui disait : ‘Rappelle-toi quand nous parlions poésie', non. Elle lui parlait de sexe à fond ! Et elle ne s'en est jamais remise. Et lui non plus, il en a perdu ses couilles. Comme on disait qu'ils avaient tout fait, je me suis demandé jusqu'où ils avaient pu aller. Je me devais de développer. »

Alors qu'au départ, on aurait pu croire le contraire, Abélard finit par délaisser Héloïse qui a sacrifié sa vie entière pour lui.

« Elle a été sacrificielle. À 20 ans, c'est quand même gonflé. Elle a été incroyable. Alors que lui, après, il ne lui a plus donné de nouvelles. La lettre à un ami est vraiment arrivée par hasard à Héloïse. Elle lui demande comment il a pu écrire une lettre pour consoler un ami alors que depuis 25 ans, il ne lui a jamais écrit, elle n'a plus jamais eu de ses nouvelles alors qu'elle a tout sacrifié pour lui. Elle l'engueule et lui, il lui répond qu'il pensait qu'elle n'en avait pas besoin maintenant qu'elle était l'épouse du Christ. Héloïse lui écrit des lettres merveilleuses où elle signe ‘Adieu, mon unique'. »

À ce moment-là, ils ne voient plus du tout les choses de la même manière.

« On connait grâce aux religieuses les derniers mots qu'ils se sont échangés la seule fois où ils se sont vus après qu'ils soient rentrés dans les ordres. Héloïse lui dit : ‘Rappelle-toi quand tu étais mon homme'. Il lui répond en partant: ‘Je ne suis plus un homme'. C'est très fort !' »

Comme dans toutes les belles histoires d'amour, ils finiront quand même par se retrouver…

« Ce qui est beau, c'est leur fin. Quand on balance le corps d'Héloïse sur la dépouille d'Abélard, les bras de ce dernier l'entourent. Elle qui a attendu son mec pendant 43 ans, cette fois-ci, il l'enlace pour l'éternité. Aujourd'hui encore, ils sont dans cet état-là au cimetière du Père-Lachaise à Paris. »

On découvre dans votre roman un tas de mots moyenâgeux. Mais aussi que le mot « amour » était féminin au Moyen-Âge.

« Oui, c'était la ‘amour'. J'ai cherché ce vocabulaire dans plein de livres, dans des essais sur la sexualité au Moyen-âge et évidemment, dans toutes les biographies d'Héloïse et d'Abélard qui avaient déjà été publiées. »

Ce qui est à mourir de rire dans votre livre, c'est le mélange entre le vocabulaire utilisé au temps du Moyen-Âge et les expressions contemporaines.

« Oui, c'est ce que j'aime faire. Je mélange le langage actuel avec des expressions de l'époque. Par exemple, j'aime beaucoup l'expression ‘J'ai la chemise Bertrand', ce qui voulait dire : ‘Je me suis fait avoir'. Pourquoi ils utilisaient cette expression, alors là, je n'en sais rien ! »

En quelques lignes

Quelle jouissance de lire le nouveau ‘Jean Teulé'. Et vu les 130 premières pages de son roman, le mot ‘jouissance' est plus qu'adéquat ! Jean Teulé nous emporte dans l'histoire d'amour passionnel et sensuel d'Héloïse et Abélard. Deux personnages du Moyen-âge qui n'avaient aucune limite à leur désir… sexuel, mais qui ont fini par en payer le prix. Elle, elle y laissera sa vie de femme. Lui … ses couilles. Une fois de plus, Jean Teulé a su manier avec finesse les mots et les expressions, mélangeant dans « Héloïse, ouille ! » expressions d'antan et contemporaines. Un pur délice ! Par ailleurs, il ne prend aucun gant et son imagination est débordante. Il s'approprie l'histoire des deux amants et impose son rythme et un langage hors du commun. Bref, encore une grande réussite pour cet excellent écrivain !

« Héloïse, ouille ! », de Jean Teulé, édition Julliard, 352 pages, 20 €