Une étude de la société dans le lit du couple

par
Nicolas
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Dans «Un lit pour deux - La tendre guerre», le sociologue du quotidien Jean-Claude Kaufmann s'immisce dans la chambre du couple. Positions, présences, absences, tout est décortiqué pour en savoir davantage sur les comportements contemporains.

Le lit du couple apparaît-il comme un territoire à envahir, à protéger et à partager?

«C'est un territoire qui bouge. Il n'arrête pas de varier à chaque instant, selon les désirs du moment: la proximité, le contact -sans qu'il soit forcément sexuel-, la présence proche et aussi l'envie de créer un espace personnel en prenant un peu de distance. Par exemple, voir le visage de l'autre ou sentir sa respiration peut gêner au moment d'entrer dans le sommeil. Ce doit être un moment d'abandon absolu, de confiance totale. Et là, on doit être dans son monde. Mais cela peut se faire en la présence de l'autre.»

Dans les témoignages recueillis, on s'étonne du retour des chambres séparées...

«Mais les chambres séparées d'aujourd'hui ne sont pas la poursuite d'une pratique réservée par le passé à moins d'1% de la population, à l'aristocratie. Le couple officiel n'était pas le lieu d'un intimité sensuel mais juste le cadre de la procréation. Depuis 50 ans, on est entré dans un autre type de société qui part de la personne, celle qui veut faire ses choix de vie, ses choix moraux. On voit donc dans les pratiques des familles des exemples de ces créations d'espace personnel. Dans les repas par exemple, plus d'un petit-déjeuner sur deux est prix en solo. Cela n'est pas le signe d'un égoïsme puisque ces moments à soi peuvent s'intégrer dans une vie de couple et de famille. Cela se développe aussi dans le champ du sommeil aujourd'hui.»

Le contexte socio-économique influence-t-il aussi ces comportements ?

«Dans un de mes livres sur les petits agacements dans le couple, j'avais déjà écrit qu'un couple peut rompre parce qu'il est difficile d'accepter que l'autre est différent. Et ces agacements éclatent encore plus forts dans les lieux de rapprochement des intimités: autour de la table, dans la voiture et... dans le lit. Mais quand on a les moyens d'avoir des espaces très larges, on peut gérer plus facilement ces agacements, simplement en changeant de pièce. On a de plus en plus besoin d'avoir ses moments de respiration à soi.»

Votre livre est-il plus le fait d'un sociologue ou d'un psychologue?

«Je ne me pose pas la question. Je me suis toujours promené sur le fil des disciplines. Je travaille comme un ethnologue et quand je rentre dans l'intimité des familles, je me demande toujours dans quel univers, je me place. Je vais essayer de découvrir les règles et codes qui régissent cette tribu, mais en allant très loin dans l'intimité. J'ai beaucoup écrit sur comment l'identité peut -être réinventée par un cinéma intérieur. Je ne suis pas le sociologue qui compare entre les classes sociales.»

Vous n'êtes pas non plus un thérapeute?

«Alors quand on me le demande, je réponds que je ne suis pas outillé pour cela. J'adopte toujours l'attitude du chercheur qui essaye de comprendre comment ça se passe sans essayer d'y trouver des solutions. Est-ce irresponsable ? Non, parce que si vous restez dans le champ des solutions, on va très vite réduire le champ des questionnements. Il y a souvent dans les couples des problèmes de sommeil d'un partenaire. C'est un sujet tabou que l'autre ne comprend pas. Ce livre peut être utilisé pour mettre le débat sur la table du couple. En évitant tout simplisme, le lit peut s'avérer très révélateur sur l'état du couple.»

En quelques lignes

Après avoir vidé le sac des femmes, Jean-Claude Kaufmann entre cette fois dans le haut-lieu de l'intimité des couples: le lit. En observateur non participant, il récolte nombre de témoignages très personnels qu'il classe dans son ouvrage comme des critères d'appréciations des positions des partenaires, le fait d'être ensemble ou séparés, des complémentarités de chacun. Le sociologue ensuite tire des conclusions intéressantes sur la vie de couple et les évolutions de notre société. Aujourd'hui, on est continuellement partagé entre le romantisme du lit partagé et la volonté de s'épanouir aussi dans un espace personnel tout en étant à deux. N'étant pas un guide pratique, le livre n'apportera pas de recettes au lecteur en mal de sommeil ou en mal de couple, mais il fournira des indices et des observations de ce qui ne va pas. Jean-Claude Kaufmann a ici le mérite de rendre accessible sa recherche quasi ethnologique du quotidien en laissant la parole à ses sujets et en intervenant discrètement par après.

«Un lit pour deux. La tendre guerre», de Jean-Claude Kaufmann, éditions JC Lattès, 284 pages, 18€

Crédits:  Photos cardmaverick & Hanoteau

Nicolas Naizy