Sur les planches cette semaine - 26 février 2015

par
Nicolas
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Metro jette un regard critique sur les spectacles à voir dans nos théâtres.

Hard Copy

Quatre femmes s'échauffent telles des danseuses avant un ballet. Toutes différentes, elles vont revêtir tailleur rouge et perruque brune pour entrer dans leur moule quotidien, une chorégraphie de bureau. Dans "Hard Copy", l'auteur Isabelle Sorrente nous emmène en enfer autour de la machine à café avec son texte sans fard. Quatre collègues et a priori amies (Caroline Kempeneers, Cachou Kirsch, Isabelle Renzetti et Aurélie Vauthrin-Ledent) mènent la vie "parfaite": un épanouissement au travail pour "Le Groupe", un mari attentionné qui vous emmène en week-end dans les châteaux de la Loire. Mais lorsqu'une d'entre elles a le malheur de faire une blague incomprise, s'actionne une machinerie diabolique qui l'ostracisera. En vraies pimbêches, les trois autres joueront la carte de la petite phrase qui fait mal, de la délation. Tantôt c'est le chemisier qui est mal placé, tantôt c'est une susceptibilité mal contenue. Dans sa mise en scène aux bureaux roulants, Alexis Van Stratum emmènent ses quatre comédiennes précises dans leur jeu dans le ballet honteux du harcèlement au travail, phénomène qui s'accompagne d'une société aux pressions écrasantes: famille parfaite, boulot parfait, amis parfaits. Une esthétique calibrée pour un sujet qui fait froid dans le dos à l'écoute des sombres statistiques évoquées en fin de spectacle.

L'Odeur des arbres

Voici un spectacle intéressant tant par son sujet que par sa genèse. La directrice du théâtre Océan Nord, Isabelle Pousseur, met en scène ici un texte commandé à l'auteur ivoirien Koffi Kwahulé. Créée au festival les Récréâtrales de Ouagadougou, le spectacle avait alors souffert des remous politiques du deuxième semestre 2014 et n'avait pas pu tenir toutes ses représentations. Jouée là-bas en plein air, quasiment in situ par rapport à son histoire, "L'Odeur des arbres" regagne ici un plateau en intérieur mais recouvert de terre battue sur lesquels spectateurs prendront pied au même niveau que les comédiens. Ils assistent au retour après de longues années d'une femme dans sa ville de province en Basse-Volta (ancien nom de la Côte-d'Ivoire). Mais la pauvre bourgade qu'elle avait quittée mystérieusement dévoile aujourd'hui un autre visage, celui d'une localité transformée par la construction d'une route essentielle à son développement. Une balafre qui défigure le paysage autant que les êtres. Où est donc la maison de son père, lui aussi évaporé sans raison ? Pourquoi sa sœur fuit-elle ses questions ? Kwahulé signe à la fois une tragédie faites de secrets de famille et le diagnostic d'une Afrique en recherche de son développement économique. Tous les personnages, dont certains assez audacieux -comme ce frère un peu simple rêvant de paillettes et de gloire-, témoignent à la fois de ces deux thèmes qui s'entrecroisent chez Kwahulé, observateur de l'Afrique urbaine et suburbaine. Dans cette suite de face-à-face aux espaces de jeu bien délimités par cette route rappelée au sol, Isabelle Pousseur a dû, en plus des défis pratiques évoqués ci-avant, faire face à de véritables challenges artistiques avec sa distribution africaine peu habituée, confie-t-elle, "aux textes qui travaillent une certaine modernité occidentale dans leur forme". Mais malgré quelques longueurs, l'entreprise s'avère plutôt réussie par l'implication dont font preuve les comédiens.

Le Tramway des enfants

Dans la ville endormie, circule un tram fantôme dans lequel montent les enfants prématurément disparus. Leur terminus: être oubliés des vivants. Auteur et metteur en scène, Philippe Blasband (connu aussi pour ses scénarios de cinéma) traite ici des sujets qui lui sont chers: nostalgie, rêves d'enfance et deuil d'êtres proches. Sur un plateau surélevé imaginé par Marie Szernovicz et cerné de gigantesques portes articulées, il convie à bord des comédiens d'âge mûr (Janine Godinas, Nicole Valberg, Jean-Pierre Baudson et Jean-Claude Derudder)  pour interpréter ces enfants perdus conduits par un ange froid et taiseux (Pierre Sartenaer, qui participe aussi à la mise en scène). Tour à tour, chacun évoque ses souvenirs, ses jeux, ses proches et sa fin bien évidemment. Malgré l'énergie et le talent de ces acteurs confirmés, le choix de leur confier un langage naïf et enfantin nous a laissé malheureusement un peu à quai. La poétique de Blasband reste à la surface des sentiments fugaces que ce théâtre impressionniste entend partager, dans une mise en scène parfois à l'étroit dans ce (grand) wagon. Gardons en tête plutôt la tendresse mélancolique de cette fable douce-amère.

Créée au Manège.Mons, cette production des quatre centres dramatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles est proposée jusqu'au 7 mars au Théâtre Varia (Ixelles), du 10 au 13 mars au Théâtre de Namur et du 31 mars au 4 avril au Théâtre de Liège.

Nicolas Naizy

Crédits : Michel Mergaerts / Michel Boermans / Alessia Contu