Cinquante Nuances de Grey: Sexy ou sexiste ?

par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Il fut un temps où un bouquet de roses et un poème griffonné de votre main étaient les cadeaux idéaux pour la Saint-Valentin. Aujourd'hui, mieux vaut offrir une cravache et un bâillon en cuir à votre bien-aimée, car le SM est devenu romantique. C'est du moins ce qu'il paraît au vu des chiffres de vente de «Fifty Shades of Grey», le livre s'est vendu à plus de cent millions d'exemplaires. Le film, dont c'est aujourd'hui l'avant-première mondiale au Festival de Berlin, est censé remporter au moins autant de succès.

Au moment le plus fort de la hype, il se vendait deux exemplaires de «Fifty Shades of Grey» («Cinquante nuances de Grey») à la seconde, d'après l'éditeur. Pas mal pour un petit livre qui, au départ, avait été publié en ligne en tant que variante pimentée de «Twilight». L'histoire s'intitulait alors encore «Master of the Universe», et se lisait sur un forum de fan fiction, où des inconditionnels de «Twilight» postaient leurs petites histoires de fantasmes autour des populaires vampires. D'Anastasia Steele et Christian Grey, il n'était pas encore question: au départ, c'était tout simplement Edward Cullen qui initiait Bella Swan à l'univers du bondage et du SM.

Accidents sexuels et urgences

«Twilight» est mort et enterré entre-temps, et «Fifty Shades» a repris le flambeau du pulp product le plus populaire de ces dernières années. On attribue à la série de livres les effets les plus étranges. Les quinquagénaires se transmettraient plus de MST et les hôpitaux seraient de plus en plus souvent confrontés à des patients embarrassés ne parvenant plus à retirer leurs menottes. On doit même aux pompiers de Londres ce tweet étonnant: «Lorsque nous partons découper des anneaux sur des pénis, nous ne pouvons intervenir en même temps pour les vraies urgences».

Les sex-shops quant à eux sont ravis: ils ont vu des hordes de nouveaux clients affluer grâce au roman de E.L. James. En 2013, leur chiffre d'affaires a fait un bond de 7,5%. Avec la sortie du film, ils espèrent que les ventes de bandeaux pour les yeux, masques et autres fouets vont s'envoler. Dans le New York Times, la fondatrice de la marque de sex-toys Babeland parle même du «moment le plus important que notre secteur ait jamais connu dans la culture populaire». Autrement dit, les attentes sont énormes, sur tous les fronts.

Mommy porn

Ce sont surtout les lectrices qui ont apprécié le livre – ce n'est pas pour rien que l'on qualifie «Cinquante nuances» de «mommy porn» –, et le studio Universal tente lui aussi de piquer la curiosité du public féminin. Une part importante de la promotion du film se déroule via Pinterest, un réseau social constitué à 71% de femmes, et pas moins de 86% des retweets sur le compte Twitter du film proviennent de twitteuses. Même l'actrice Charlotte Rampling, qui avait elle-même fait scandale en 1974 avec son rôle dans le film controversé au thème sadomaso, «Le Portier de Nuit» («The Night Porter»), nous a raconté la semaine dernière à Berlin qu'elle était curieuse de voir le film: «Je suis impatiente de le voir! J'ai lu des passages du livre, et ceux-ci étaient tellement mauvais que cela en devenait bien», rit l'actrice respectable de 69 ans.

Aussi osé que «Le Portier de nuit», «Cinquante nuances de Grey» ne le sera pas cependant. Le film contient à ce qu'il paraît – à Berlin, les journalistes ne verront le film que quelques heures avant le public – 20 bonnes minutes de sexe, mais on ne devrait pas vraiment voir grand-chose. L'acteur principal, Jamie «Mr. Grey» Dornan a fait stipuler dans son contrat que son sexe resterait à l'abri des regards. Sa partenaire à l'écran Dakota Johnson, qui joue Anastasia Steele, a quant à elle fait appel à des doublures pour les scènes les plus hard.

Girl power… ou pas?

Le trailer de «Cinquante nuances de Grey» a été visionné plus de 250 millions de fois. Essentiellement par des femmes, pouvons-nous donc supposer. Qu'est-ce qui les intéresse tant? Pour les féministes et associations de défense des Droits des Femmes, tout cela n'a ni queue, ni tête. Une jeune fille naïve qui se fait embobiner par un millionnaire charismatique, passe encore. Mais enrober de romantisme la violence, le harcèlement et l'intimidation, cela va trop loin pour beaucoup. Une étude de l'Université du Michigan a montré que les femmes qui lisaient «Cinquante nuances», avaient plus de risque d'avoir un partenaire violent et des troubles alimentaires. Conséquence: tandis que la campagne de promo filait bon train, une contre-offensive fut lancée via les réseaux sociaux. Le hashtag #50DollarsNot50Shades devait inciter les utilisateurs de Twitter à boycotter le film. Et les convaincre de verser la somme – un peu exagérée – de 50 dollars prévue pour une petite soirée de flagellation au cinéma, à des centres d'accueil pour femmes battues.

Sexy ou sexiste?

La réalisatrice Sam Taylor-Johnson ne voit pas où est le problème: «Une vraie féministe ne doit pas toujours être en position dominante», a-t-elle déclaré au quotidien britannique The Guardian. «Anastasia connaît toute une évolution, finalement, c'est elle qui prend les rênes. Elle ne finit pas en victime.»

Durant certaines scènes, l'actrice principale Dakota Johnson s'est pourtant sentie plutôt impuissante. Dans Time Magazine, elle a décrit la façon dont elle avait vécu les scènes SM sur le tournage: «J'avais les pieds et les mains liés, j'avais un bandeau sur les yeux, et en même temps on me frappait avec un drôle d'instrument… C'était très dur émotionnellement. Au départ, je trouvais cela horrible, mais après un temps, je me suis dit tout simplement: ‘Bon, expédions cela vite fait bien fait'». Sexy ou sexiste? Vous pourrez en juger vous-même dans les salles dès aujourd'hui.