Marc Lavoine en hommage à son père

par
Laura
Temps de lecture 5 min.

Musicien et acteur, Marc Lavoine ajoute une nouvelle corde à son arc: il devient aujourd'hui écrivain. Veut-il entamer une nouvelle carrière? En tout cas, il voulait rendre hommage à l'homme qui l'a rendu heureux, qu'il a profondément aimé malgré ses mensonges et son côté volage, malgré tout: son père.

Pourquoi écrire cet hommage, aujourd'hui?

«Ça s'est fait bêtement, ça s'est imposé. J'avais envie, depuis la classe de quatrième, d'écrire des romans. J'ai commencé par faire de la chanson, comme de l'auto-stop, puis du cinéma. Aujourd'hui, mes parents sont morts. Je me suis dit que j'avais une histoire à raconter. Je ne voulais pas faire un documentaire ni une biographie. J'ai pris le principe d'un récit littéraire pour raconter l'histoire d'une banlieue, de son changement de visage au fil du temps et des idées, en même temps que le changement d'un couple, d'une famille qui prend conscience des réalités. Je trouvais que cela fonctionnait bien ensemble.»

On retrouve de votre musicalité dans ce récit. La chanson ne vous suffisait-elle plus?

«La chanson, c'est vertical même si le trajet entre l'écriture des chansons, l'enregistrement, la promotion et les concerts est long. Cela apporte du rythme dans votre façon de travailler et de vivre. Je suis un peu fatigué de la vitesse. Je voulais prendre le temps comme il est sans être bousculé par des consignes, des obligations. Je n'en peux plus (rires). J'espère pouvoir écrire un autre roman, un jour. Mais j'avais vraiment envie de travailler en sentant chaque seconde passer. Écrire un roman permet d'entendre un autre rythme cardiaque. Par ailleurs, je voulais écrire un livre qui puisse se voir comme un film.»

Ce livre aurait-il pu devenir un film?

«Au départ, c'était le but: de filmer des gens, des époques, des espoirs, des illusions qui s'évaporent ou qui renaissent autrement. Je pense qu'il y a quand même des choses qui restent: des parcelles humaines de la solidarité. Quand je regarde la société civile, les associations, je vois que ça s'organise pour résister aux tentations. Les gens résistent bien.»

Malgré le chagrin de votre mère, vous n'avez pas cessé de vénérer votre père, Lucien.

«Ni ma mère, d'ailleurs. Il ne faut pas juger les gens. Je ne suis pas là pour désigner la faute sur une personne ou une autre. Mes parents se sont aimés jeunes d'un amour absolu. Ils pensaient sûrement qu'ils n'échoueraient jamais. C'est l'illusion des amoureux. La responsabilité est commune. Les parents ont des natures. Moi je suis de nature mélancolique, d'autres sont plus optimistes. J'ai eu de la chance d'avoir des parents aimants, qui organisaient la vie d'une façon très agréable. Ils ont essuyé les guerres. Mon père les a vécues, ma mère a connu les résonances. Par ailleurs, la pensée était plus libre, plus ouverte. C'était la révolution sexuelle. La société explosait, le cinéma était très utile, très flamboyant. Mon père a connu la guerre d'Algérie, il a ensuite rencontré des gens avec des drames. Peut-être que cela explique son esprit volage et cavaleur, son goût de vivre avec du plaisir, son goût pour la table, ses amis et les femmes.»

Les infidélités de votre père ont-elles eu une influence sur la façon dont vous regardez les femmes?

«Vous voulez savoir si je suis fidèle, c'est ça? (rires) Comme je l'écris dans le livre, quand je suis né, ma mère voulait une fille. J'étais habillé et pris pour une fille pendant longtemps. Ensuite, j'ai été moqué parce que j'étais rond avec des cheveux longs. En fait, j'étais bizarre. Cela m'a donné sûrement une sensibilité qui fait écho aux difficultés que j'ai dû surmonter. Comme dans tous les aspects de ma personnalité, avec la femme, j'ai tendance à me battre pour obtenir les choses, pour prouver qui je suis. Je suis un banlieusard. Quand je suis à Paris, je ne me sens pas chez moi. Je me sens toujours avec une dette. J'ai beaucoup travaillé pour être celui que je voulais être, pour être libre. Les femmes, je les ai souvent placées assez haut. C'est parfois une source de déception personnelle. Pas vis-à-vis d'elles mais vis-à-vis de moi. J'ai mis un contrat sur la tête des hommes, en tout cas sur la mienne. Parfois, c'est un peu dur car je n'ai pas une image de moi formidable.»

Dans votre livre, vous écrivez même que lorsque l'on vous dit que vous êtes beau, ce mot a, pour vous, quelque chose de réducteur. C'est un mot «assassin».

«J'étais avec un ami il y a deux jours, un acteur que j'adore. Il y avait son César sur l'étagère. Je lui dis: 'Il est beau'. Il me répond:‘Quoi?'. ‘Le César'. Il me dit:‘Oui il est beau mais il est con!' (rires). Cela m'a fait rire. C'est comme ça, on est jugé souvent pour des choses qui nous échappent. On ne sait pas trop pourquoi. Pour le livre, pour l'instant, j'ai de la chance. En France, le bouquin a bien été accueilli. J'espère qu'il en sera de même ici. Dans un monde où l'on fabrique beaucoup plus de vedettes que des artistes -enfin, les artistes, on ne les fabrique pas, ça s'impose à eux-, j'ai l'impression que l'on doit toujours prouver. J'avais envie de prendre mon temps. Je savais que ça serait long parce que je voulais que le livre s'approche de ma vérité.»

 

En quelques lignes

Communiste, volage, menteur, aimant, alcoolique, charmeur: le père de Marc Lavoine, Lucien, était tout sauf ennuyeux. Dans son livre «L'homme qui ment», le chanteur et comédien rend un hommage non seulement à son père, mais également à sa mère et à son frère. Au-delà de leur histoire familiale, Marc Lavoine brosse le portrait d'une société en plein changement, de l'avant-et-après Mai 68, puis de l'effritement de certains espoirs. «Évidemment, un jour, les lendemains qui chantent se sont réduits à l'achat d'une nouvelle voiture, et Che Guevara a fini imprimé sur un tee-shirt», décrit-il. À aucun moment le lecteur ne se sentira trahi dans ce récit. Au fil des pages, il retrouvera toute la musicalité du chanteur. Une musicalité à la fois mélancolique et juste.

«L'homme qui ment», de Marc Lavoine, éditions Fayard, 190pages, 17€