'Loin des hommes': parmi les langues et les cultures avec Viggo Mortensen

par
Jerome
Temps de lecture 4 min.

Quelle vie extraordinaire Viggo Mortensen a déjà eue. Il est né à New York, a grandi à la campagne en Argentine, a travaillé comme docker au Danemark… avant de se lancer dans le cinéma. Ensuite, il est devenu une star hollywoodienne et une idole des jeunes filles grâce au ‘Seigneur des Anneaux', pour finalement disparaître des projecteurs et se spécialiser dans de petits films artistiques. Comme ‘Loin des hommes', un drame existentiel qui se passe durant la Guerre d'indépendance algérienne. En français.

Pour ce film, vous deviez parler couramment français et arabe. Cela ne vous a pas effrayé?

Viggo Mortensen: «Si. (rires) L'arabe était totalement nouveau pour moi, et mon français était très loin. J'ai donc vraiment dû retrousser mes manches. Je devais en outre trouver le bon accent: mon personnage Daru est né en Algérie de parents espagnols. Enfant, il a commencé à parler le français. A quoi ressemble donc exactement ce français qu'il parle? Je travaille beaucoup ces détails-là, il faut que ce soit crédible.»

Dans combien de langues avez-vous déjà joué entre-temps?

«Voyons... anglais, lakota, elfique -deux versions différentes- et khuzdul (des langues fictives du ‘Seigneur des Anneaux', ndlr.), arabe, français, danois, russe, allemand, espagnol. Et suédois aussi, je crois. Oui, cela en fait beaucoup, mais je ne les recherche pas délibérément. Je recherche les bonnes histoires, et si celles-ci sont écrites dans une autre langue, eh bien soit. J'ai l'avantage d'avoir été tout de suite en contact avec plusieurs langues dans mon enfance. Moi-même, je parlais l'espagnol et l'anglais, et j'entendais souvent mon père parler le danois.»

Daru a des problèmes d'identité, il ne sait plus trop bien où c'est chez lui. Reconnaissez-vous ce sentiment, en tant que citoyen du monde?

«Quelque part, oui. En Algérie, Daru a toujours été considéré comme un autochtone par les colons français, mais depuis le début de la Guerre d'indépendance, la population locale le considère tout d'un coup comme un Français. Il est devenu l'ennemi dans son propre pays. Ce côté ‘expatrié', c'est une chose à laquelle je peux tout de même m'identifier. Je vis maintenant en Espagne et je m'y sens chez moi. Mais plus je voyage, plus je vais me sentir chez moi en différents endroits. Bien que je doive dire que je ressentirai toujours un attachement particulier à l'Amérique du Sud, parce que c'est là où se situent mes premiers souvenirs, mon enfance.»

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire de deux hommes totalement différents qui font la route ensemble?

«Le fait qu'ils sortent tous les deux de leur zone de confort et trouvent un compromis. Nous pouvons en tirer un enseignement aujourd'hui. Depuis toujours, nous avons eu tendance à nous identifier surtout avec des gens qui nous ressemblent, qui mangent et pensent la même chose que nous. Maintenant, on s'attendrait à ce que cela change avec le temps: il n'y a jamais eu autant de moyens de communication disponibles, jamais il n'a été plus facile d'écouter d'autres opinions. Mais c'est le contraire qui se passe: les gens utilisent les nouveaux médias pour confirmer leur propre vision des choses. Vous ne surfez que sur les sites web qui renforcent vos points de vue, et tout le reste, vous l'évitez. Tout le monde, par conséquent, se sent encore plus isolé et le monde devient de plus en plus polarisé. Les gens normaux, mais les politiciens aussi, ont de plus en plus peur de sortir de leur zone de confort. Si un musulman intégriste serre la main d'un juif, il devient aussitôt un traître. Celui qui fait des compromis, est lâche. Ce film va à l'encontre de cela. Il montre que, si vous vous ouvrez à tout le monde, vos ennemis peuvent devenir vos amis, et vos amis vos ennemis.»

Une grande partie du film se passe dans le désert, dans des conditions météo difficiles. Tournage difficile, donc?

«Difficile, mais c'était bien justement. Comme ça, nous ne devions pas faire semblant. Il y faisait vraiment froid et poussiéreux, il pleuvait, nous devions beaucoup marcher. Cela nous a aidés à jouer nos rôles. J'ai remarqué d'ailleurs que je choisis souvent des films où je peux jouer dans un environnement naturel. Concrètement, cela signifie que je dois très souvent marcher et monter à cheval. (rires) Regardez ‘Le Seigneur des Anneaux', ‘The Road', ‘Jauja', ‘Hidalgo', ce film-ci...»

On vous voit surtout dans des petits films, ces dernières années. Envisageriez-vous un jour de rejouer dans de grands blockbusters?

«Oh, pourquoi pas? Je ne les ai certainement pas évités délibérément. Je choisis un film en fonction de son histoire. Grand film, petit film, gros budget, petit budget, cela n'a pas d'importance pour moi. Je veux tout simplement jouer dans des films que j'aurais moi-même envie de voir au cinéma. Le fait que je n'ai plus choisi de grands projets ces dernières années est dû au hasard.»

Vous êtes quand même une des rares stars hollywoodiennes à pouvoir se le permettre.

«Si vous me qualifiez de star hollywoodienne, c'est parce que la plupart des gens me connaissent de films hollywoodiens. Mais si je continue comme ça avec de petits projets indépendants, je pense que c'en sera bientôt fini de la star hollywoodienne. (rires) Mais cela ne me pose pas de souci.»