Histoire d'un casse dans un Paris sous eaux

par
Nicolas
Temps de lecture 4 min.

Dans ses deux premiers albums consacrés au peintre Egon Schiele et au poète Arthur Rimbaud, Xavier Coste avait déjà fait preuve d'une grande maîtrise graphique. Dans «À la dérive», il pousse son talent encore plus loin pour nous emmener dans la barque d'un couple de braqueurs ramant sur la Senne en crue en 1910.

Quelle était votre envie de départ? L'histoire d'un couple ou Paris sous eaux?

«Ma première envie était graphique. J'avais fait mes deux premiers albums à l'ordinateur. Je voulais faire de l'aquarelle et de l'acrylique. Comme j'habite à Paris, je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la ville. Déjà dans ‘Rimbaud', j'avais apprécié dessiner Paris. Et à force de voir des cartes postales des inondations de 1910, je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire avec ça.»

À cette grande crue vous avez ajouté une autre histoire, réelle elle aussi, mais qui s'était déroulée quelques années auparavant. Pourquoi avoir joint cette histoire de casse d'une banque réalisé par Chicago May et Eddie Guerin?

«Je suis tombé sur ce fait divers d'un casse réalisé en 1903. Ce qui m'intéressait, c'était à la fois le braquage qui tourne mal et les conséquences au sein de ce couple. J'étais tombé sur une gravure d'époque, où l'on voyait Eddie s'échapper du bagne. C'est une image très illustrative et déformée avec un côté romanesque assez intéressant.Au départ, je voulais me concentrer sur Chicago May. Mais Eddie m'a semblé plus intéressant parce qu'un peu en retrait par rapport à elle. De toute façon, même quand on ne la voit pas dans l'album, elle pèse moralement sur les épaules d'Eddie. Et puis, j'appréciais le changement de son rapport à l'argent.»

 La mise en page de l'album est d'inspiration Art nouveau…

«J'ai presque voulu faire un album bling-bling avec plein d'effets qui rappellent l'Art nouveau mais aussi avec des journaux de l'époque et leur façon avec laquelle ils mettaient en scène l'information.»

On imagine les heures et dessins de préparation…

«J'ai fait plein d'essais avant. J'avais d'abord dessiné la moitié de l'album de la même manière que sur les précédents. Je n'en étais pas satisfait, j'ai donc tout refait. Chaque planche, chaque couleur, je ne me suis pas arrêté à refaire les choses. J'étais beaucoup dans le geste et sur de très grands formats. J'avais envie de me salir les mains et de ne pas rester sur un seul style. Jusqu'à présent, quand je finissais un album, je n'avais pas vraiment de traces si ce n'est sur un disque dur.»

De quoi parfois casser une narration traditionnelle…

«Sur mes précédents albums, je me suis rendu compte que j'en restais à une mise en page presque trop classique. Ici, j'avais envie de me surprendre. Mon scénario était bien sûr écrit à l'avance. mais avant d'entamer une planche, je ne savais jamais à quoi cela allait ressembler. J'utilisais ce que j'avais sous la main. Un coup, c'était du pastel, un coup, de la peinture… C'était vraiment un jeu.»

 Après deux biographies d'artistes, vous vous appuyez à nouveau sur l'Histoire. Avez-vous besoin de cette base de réel pour créer?

«Je m'intéresse beaucoup à l'Histoire. C'est assez naturel pour moi, je ne me pose pas la question. Mais avant mes premiers albums, j'étais assez porté sur la science-fiction. Je travaille d'ailleurs sur un nouveau projet SF.»

En quelques lignes

À seulement 25 ans, Xavier Coste s'est fait plaisir. Et le lecteur n'est pas en reste. Dans sa mise en page autant que dans ses traits, le dessinateur n'a pas retenu sa main. Chaque page est une surprise d'une beauté maîtrisée passant d'une image réaliste de Paris inondé à un bagne de Guyane tantôt humide, tantôt balayé par un soleil puissant. Car l'histoire de Chicago May et d'Eddie Guerin, librement remaniée, passe d'un lieu à l'autre. Le couple en barque sur la couverture évoque leurs vicissitudes. En gros, dans la vie, on rame pour avancer. Ce ne sont pas des grands bandits mais des rêveurs, envieux d'une vie meilleure, en ce début de siècle clinquant. On ne regrettera qu'un petit bémol scénaristique, abandonnant le lecteur sur une fin ouverte. On ira lire ailleurs la vraie fin de ce couple réel, en laissant à l'artiste la liberté de s'être imposé une frustration qu'il nous a dit assumer pleinement.

«À la dérive», de Xavier Coste, éditions Casterman, 72 pages, 18€

 Nicolas Naizy