Un été à Osage County: Canicule familiale

par
Nicolas
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Pour sa rentrée 2015, le Théâtre de Liège propose Un été à Osage County. Ce spectacle nous plonge dans les entrailles d'une famille américaine déchirée. Grands déballages et heure de vérité sont au programme d'une atmosphère à la Tennessee Williams.

Avant d'être un film avec une prestation mémorable de Meryl Streep, Un été à Osage County est avant tout une pièce de Tracy Letts, l'une des plus primées aux États-Unis. Si sa réputation la précède outre-Atlantique, cette pièce est pour nous une totale découverte. L'auteur nous emmène au cœur de l'Oklahoma. Sous un pesant soleil d'août, une famille se réunit dans sa grande maison isolée. Le père, Beverly, a disparu, son suicide dans un étang voisin sera bientôt découvert. L'ex-poète alcoolique qu'il était laisse une famille désunie. La mère, Violet, cancéreuse et acariâtre, accueille ses trois filles avec une bile qu'elle leur déverse en ces heures de deuil. Il y a Barbara, l'enfant prodige devenue professeur d'université en pleine séparation, Karen l'ingénue de retour de Floride avec son dernier Jules bling-bling et Ivy, la cadette célibataire restée auprès de ses parents abandonnant ses envies de liberté. Secrets et vieilles rancœur vont s'échanger tout long des 2h30 de spectacle, laissant les Wilson au bord du précipice ou de nouveaux chemins de vie.

«La fin de cette famille, c'est aussi la fin d'une Amérique», nous explique Dominique Pitoiset, metteur en scène français qui a inauguré le nouveau Théâtre d'Annecy avec cette coproduction avec Liège, Luxembourg et Bordeaux. Lui-même est allé sur place, en Oklahoma, pour y suivre les traces de cette pièce autobiographique dans une Amérique de province à l'intelligentsia libertaire déclinante. Le premier défi consistait à apprivoiser la traduction d'une pièce qui, en anglais, «se joue deux fois plus vite que nous», à l'aide de son langage très cru, très franc. Quant au second challenge, «il fallait aussi créer une famille et ce délicat équilibre familial», encore en rodage lors des premières représentations, nous explique Pitoiset qui a composé une distribution mi-française, mi-belge. Annie Mercier, parfaite en matriarche névrosée et droguée et Anne Benoît, belle-sœur bienveillante, sont des piliers du théâtre public hexagonal.

Mais le metteur en scène ne manque pas d'éloges sur les comédiens venus de nos contrées: «Le jeu tout en sensibilité» d'Anne-Pascale Clairembourg (Ivy), Valérie Lemaître (Karen), «une actrice qui aime le jeu concret, tout dans le corps», Nicolas Luçon (le neveu Charles) avec «une gaucherie parfaite pour ce rôle». «Il ne fallait quasi rien faire», sourit Pitoiset plein d'affection pour le comédien français, habitué chez nous des créations d'Armel Roussel. Enfin, il a trouvé en Cathy Min-jung, l'incarnation de Johnna, amérindienne qui, de sa cuisine, observe en silence et en retenue la déliquescence de cette famille. Ultra-réaliste, l'impressionnant plateau, plain-pied résidentiel de cette campagne déserte n'est jamais inerte. La troupe en habite chaque pièce ouverte sur les autres et traversée de la lumière déclinante du dehors étouffant, est sans cesse un petit théâtre intime. Cette chronique familiale passionne de bout en bout par ses tensions, ses excès de colère et ses moments plus sensibles.

Du 11 au 16 janvier au Théâtre de Liège.

Nicolas Naizy

Crédit: Ph. Cosimo Mirco Magliocca