Interview : Jamie Foxx et sa nouvelle 'Annie'

Une jeune actrice noire qui joue le rôle d'Annie, personnage traditionnellement blanc. Un signal positif, au moment justement où les manifestations contre les violences policières racistes se multiplient aux USA?
par
Jerome
Temps de lecture 4 min.

Jamie Foxx: «Lorsque nous avons voulu confier à Quvenzhané le rôle d'Annie, j'ai eu une conversation avec quelques producteurs. Je leur ai pitché quelques petites idées, mais ils trouvaient que tout ça c'était un peu trop ‘urbain'. Comme s'ils avaient peur que le film ne plaise pas aux spectateurs blancs. Alors je leur ai dit: ‘Faites-moi une faveur, et accompagnez-moi à un concert de Lil Wayne'. Nous sommes donc allés tous ensemble au Staples Center à Los Angeles. En arrivant là-bas, j'ai dit aux producteurs: ‘Maintenant, comptez pour voir le nombre de personnes ‘urbaines' présentes ici'. Nous avons regardé autour de nous et avons vu 18.000 mains blanches se lever en rythme. Vous voyez: les jeunes ne pensent plus de manière cloisonnée, ils ne se posent pas la question de savoir s'ils écoutent de la musique blanche ou noire. Il n'y a que des gens des vieilles générations qui pensent encore de cette manière. Ma fille de 20 ans le dit aussi: ‘Nous allons voir quelque chose tout simplement parce que nous l'apprécions, non pas parce que cela entre dans une certaine catégorie.'»

Annie vit une enfance difficile, mais finalement tout s'arrange pour elle. Peut-on dire que vous avez eu un parcours analogue ?

«Pas tout à fait. J'ai été adopté par mes grands-parents. Des gens simples: ma grand-mère était employée de maison, mon grand-père jardinier. Nous n'avions donc pas d'argent. Mais j'ai quand même eu une jeunesse formidable. Ma grand-mère voulait que je me consacre à la musique classique -pas évident quand on grandit au Texas. ‘Mais avec ça tu feras le tour du monde', prédisait elle. Grâce à une bourse, j'ai finalement pu aller étudier le piano classique dans une université où se côtoyaient 81 nationalités différentes. Ensuite, à 20 ans, je me suis tout à coup retrouvé à faire du stand-up. J'ai ainsi fait un passage dans le show télé ‘In Living Color', et ça a été le début de ma carrière d'acteur. Je voudrais donc bien me vanter de la jeunesse si difficile que j'ai eue, mais quand je repense à la façon dont tout s'est passé, je ne peux que conclure que j'ai toujours été un veinard.»

Vous êtes le Rêve américain incarné. ‘Annie' porte aussi le message que tout le monde peut réussir aux USA. Le croyez-vous ?

«Bien sûr! Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes se montrent si négatives par rapport à l'Amérique, car c'est littéralement le meilleur pays au monde, quand il s'agit de faire ce qu'on a envie de faire. Ici, vous pouvez aller proclamer vos opinions à voix haute dans la rue, ou vous pouvez lancer comme ça un nouveau produit... Vous ne trouvez ça nulle part ailleurs dans le monde.»

Vous trouvez que l'Amérique est le meilleur pays au monde, mais vous avez aussi des talents à revendre: le chant, le piano, la comédie, l'humour... Les choses sont-elles aussi roses pour les gens qui ont moins de capacités ?

«Oui, regardez plutôt les stars de la téléréalité: elles n'ont aucun talent! (rires) Et pas de dignité. Mais elles réussissent quand même!»

Et pourtant les statistiques disent autre chose: les pauvres restent généralement pauvres aux USA, surtout s'ils sont noirs. Il y a des chiffres là-dessus.

«Et pourtant, c'est possible. J'en suis même l'exemple vivant, et j'essaie par conséquent de transmettre ce message. Quand je vais dans des quartiers pauvres pour aller discuter avec des jeunes, je dis toujours: ‘Débarrassez-vous de tout ce fardeau mental'. Car votre état d'esprit est essentiel. Les gens de ma génération doivent faire comprendre aux jeunes qu'ils doivent prendre les rennes. Qu'ils doivent chercher du travail et changer leur mentalité. Il ne faut passer son temps à s'affliger du fait qu'on est pauvre, mais se focaliser justement sur les success stories des gens qui s'en sortent, et les appliquer à sa propre vie. Donc, quand je discute avec des jeunes, je leur dis: ‘Hey man, toutes ces conneries que j'ai, tu peux aussi les avoir'. Pas besoin d'être un chanteur ou un acteur pour ça, tu peux aussi démarrer ton propre business, ou apprendre un métier.»

Dernière question: dans ce film, vous combinez vos deux passions, chanter et jouer la comédie. Mais toutes les voix des chansons ont quand même subi un traitement Auto-Tune, ce qui fait que tout a l'air très lissé. En tant que musicien qui peut parfaitement se débrouiller sans l'aide d'un ordinateur, trouviez-vous cela une bonne idée ?

«Euh, question suivante, s'il vous plaît! (rires) Non, ce son fait tout simplement partie de la culture d'aujourd'hui. Tout ce qu'on entend actuellement à la radio, est passé par Auto-Tune. Avant, je ne l'utilisais jamais. En studio, je me tuais à chanter... Mais alors ma fille m'a dit: ‘Papa, ça ne va quand-même jamais marcher! Il n'y a pas d'Auto-Tune sur ta voix! C'est ce que tu dois faire aujourd'hui pour être dans le coup.' Au début, je ne voulais pas en entendre parler. Mais un jour je l'ai quand-même essayé sur ‘Blame it', un titre qui est cent pour cent Auto-Tune. Et il a été numéro 1 des hit-parades pendant 22 semaines. (rires)»

Lieven Trio