The Curse: L'exposition photos entièrement consacrée aux... menstruations

par
Laura
Temps de lecture 3 min.

Rarement l'art s'est aventuré sur le terrain des règles. "Tout au plus quelques allusions ça et là", constate la photographe Marianne Rosenstiehl qui a posé un regard personnel et pudique sur ce rendez-vous intime qu'ont les femmes avec elles-mêmes. "À l'origine, il y a une interrogation, celle que j'avais depuis mon adolescence à propos de l'invisibilité du sang féminin", raconte à l'AFP Marianne Rosenstiehl qui expose à la galerie "Le Petit espace", à Paris, jusqu'au 24 décembre, une série de clichés consacrés aux cycles menstruels des femmes. "En préparant ce travail, je me suis rendue compte à quel point l'absence de représentation de ce thème était criante, à en devenir suspecte", ajoute la photographe, portraitiste de renom qui a travaillé pour les agences Sygma et H&K.

Un tabou religieux

Pourquoi les règles sont-elles si occultées dans notre univers culturel, exception faite de publicités qui continuent de verser du liquide bleu sur des serviettes blanches...? Alors que l'hémoglobine coule à flots à la télé et au cinéma. "À cause des religions dont la plupart ont inventé des lois pour mettre à l'écart la femme considérée comme impure, voire maléfique, pendant ses règles", explique l'artiste qui dit avoir étudié les travaux d'historiens de l'art et d'anthropologues pour entreprendre sa démarche. "Des millénaires d'obscurantisme qui ont rendu tabou un sujet pourtant ô combien naturel". Et qui fait qu'aujourd'hui encore, des femmes de tous pays vivent leurs règles comme une épreuve, une punition, une souillure. D'où le nom donné à l'exposition, le même que certaines femmes anglaises donnent à leurs menstruations, "The curse", la malédiction.

Mais le travail de Marianne Rosenstiehl n'est pas un manifeste et son propos n'est pas de s'indigner. Même si, dans certains pays, des jeunes filles ne vont pas à l'école pendant leurs règles. "Pour chaque image, un travail de maturation m'a permis de me libérer de toute tentation militante", explique-t-elle. Juste le désir "de proposer une représentation contemporaine qui puisse permettre à chacun de voir et de réfléchir sur le sujet", confie-t-elle. Le résultat: vingt-quatre images poétiques qui explorent les règles des femmes, du sang adolescent jusqu'à la ménopause. Dans "Premier rendez-vous chez le gynécologue", une jeune fille, encore une enfant, est simplement assise dans une salle d'attente. "Le message qui va lui être transmis à ce moment de sa vie est déterminant. Il va conditionner son rapport au corps, le fait qu'elle en soit fière ou honteuse", justifie Marianne Rosenstiehl.

Du sang dans les cheveux... 

À l'autre bout du cycle, les visages de neuf femmes ménopausées. "C'est un tabou dans le tabou, dans le sens où le message que renvoie la société aux femmes ménopausées est aujourd'hui encore négatif et brutal", insiste la photographe. Entre les deux, une place est faite aux traditions, légendes et autres superstitions. Comme dans "Les limaces", où l'artiste a mis en scène "la poésie absurde" d'une tradition paysanne angevine du XIXe siècle qui voulait que les épouses, les soeurs ou les filles traversent les champs pendant leurs règles pour tuer les insectes. Une autre est illustrée par une jeune femme rousse qui, telle une "pietà", tient dans ses bras le corps d'un homme étendu. La scène fait référence à une vieille croyance qui dit que les rousses ont été conçues par leurs mères au moment des règles. Le sang dans les cheveux...

La quête éperdue du féminin chez certains transsexuels est abordée dans "Sony saigne", ou l'on voit que "certains sont tellement sûrs d'être femme qu'ils vont jusqu'à inciser tous les mois le haut de leur cuisse pour se voir saigner", explique Marianne Rosenstiehl. Détour par la littérature, via la peinture, avec une "Origine du monde" de Courbet revisitée où la photographe a planté un camélia rouge. "Un clin d'oeil à 'La dame aux camélias', l'une des rares oeuvres où l'on parle ouvertement des règles", souligne-t-elle. Dans le roman d'Alexandre Dumas fils, la courtisane Marguerite Gautier arbore une fleur rouge pendant ses règles pour signifier à ses éventuels clients qu'elle n'est pas disponible...