Denis Mukwege : rendre leur dignité aux femmes violées

par
Camille
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C'était il y a deux ans. À Bukavu, dans l'est du Congo, des hommes ont voulu tuer le docteur Mukwege. Avec leurs armes, ils ont voulu empêcher d'exercer celui qui soigne les femmes qu'ils violent. Dans la foulée de cette attaque contre son domicile, le médecin chef de l'hôpital Panzi, à Bukavu, partait. Il fuyait dans un premier temps au Burundi voisin, avant de s'envoler avec ses proches pour la Belgique.

A-t-on voulu tuer le docteur? Ou simplement lui faire comprendre qu'il devait se taire? Car s'il est actif depuis plus de 20 ans, Denis Mukwege s'est fait connaître au monde en 2008, en recevant le prix suédois Olof Palme. Aujourd'hui, c'est au tour du Parlement européen de le distinguer, en lui remettant le prix Sakharov. Avec cette récompense, c'est toute sa lutte pour rendre leur dignité aux femmes violées qui est récompensée. Une lutte pour guérir les victimes, mais aussi pour aider les communautés à se reconstruire.

«JE NE PEUX PAS ABANDONNER»

Il faut se plonger dans le Congo de l'après Mobutu, le dictateur chassé en 1997, pour comprendre l'ampleur du travail effectué. Alors que le pouvoir de l'État se délite de jour en jour, l'est du pays fait face à l'arrivée de nombreux Rwandais. Parmi eux, des hommes qui ont pris part au génocide de 1994, et sont recherchés par le nouveau pouvoir installé à Kigali. Avec les groupes armés qui prolifèrent, l'est du Congo devient rapidement un champ de bataille. Aux dégâts des armes traditionnelles succèdent ceux, plus vicieux, d'une nouvelle arme utilisée massivement: le viol. Les groupes armés l'utilisent pour s'imposer sur le terrain, en déstructurant les familles et les communautés. Pour atteindre cet objectif, les soldats ajoutent l'horreur à l'infamie de l'agression. Les femmes sont violées devant leurs maris, les fils contraints à violer leurs mères. Les rebelles coupent des seins, mutilent les vagins avec leurs baïonnettes ou à coup de rafales d'armes automatiques...

« REDONNER L'ENVIE DE VIVRE »

Dans son hôpital Panzi, le gynécologue voit arriver ces femmes détruites. Depuis 1999, inlassablement, il répare des organes génitaux démolis, soigne les femmes auxquelles leurs agresseurs ont transmis le sida, accompagne les grossesses non voulues. Surtout, il tente d'atténuer les séquelles psychologiques. «Quand une femme est violée, il est dur de la soigner physiquement si on ne la soigne pas mentalement, car elle somatise. Soigner le traumatisme psychologique est indispensable pour redonner l'envie de vivre», explique-t-il doucement.

L'horreur subie par ses patientes a beau être indicible, la voix du médecin-chef de Panzi reste toujours calme et précise. Il porte en lui l'assurance de ceux qui ont la certitude de se battre pour une cause juste et incontestable, celle qui vise à rendre un peu de dignité à ses semblables. Même quand les vagues de violences se sont déchaînées autour de son hôpital, il est resté solide comme un phare. Jamais la tempête et les menaces ne l'ont fait douter. «Douter?», interroge-t-il. «Quand vous voyez le courage de ces femmes... Elles ont le vagin détruit, le rectum ravagé, mais elles ont du courage à revendre. C'est fantastique de voir une femme retrouver le contrôle de ses organes après avoir subi l'horreur. Je ne peux pas abandonner.»

PROTÉGÉ PAR SES PATIENTES

Abandonner, l'idée aurait pu lui effleurer l'esprit après l'attaque qui l'a visé. Elle n'en a pas eu le temps. Dans la semaine qui suivait l'agression, Bukavu connaissait une journée ville morte en guise de protestation. Les patientes du docteur proposaient de se cotiser pour lui payer un billet de retour, ne sachant que faire sans lui. Surtout, elles lui offraient leur protection. Après trois mois d'exil forcé, revenant à l'hôpital, il trouvait des dizaines de femmes prêtes à dormir sur place pour le protéger.