Eric-Emmanuel Schmitt: "L'amour est un élixir, un remède ou un toxique"

par
Laura
Temps de lecture 4 min.

C'est dans son bureau situé à Ixelles que l'auteur franco-belge, Eric-Emmanuel Schmitt, nous reçoit. Il revient sur son nouveau livre «Le poison d'amour» consacré aux sentiments amoureux. Un roman écrit sous la forme d'un journal intime de quatre adolescentes qui croient plus à l'amitié qu'à l'amour.

Est-il plus facile d'écrire au sujet de l'amour à la première personne?

«Je ne sais pas si c'est plus facile d'écrire en ‘je' mais il est plus facile de montrer la diversité des sentiments amoureux avec des personnages qui disent ‘je' et qui, dans le fond, ne parlent pas de la même chose. Les quatre jeunes filles de mon roman n'appellent pas ‘amour' la même chose.»

Comment écrire à la manière d'une adolescente?

«C'est tout l'intérêt du romancier: devenir l'autre. Et puis, j'ai été aidé. J'ai une belle-fille de 16 ans et lorsque j'ai annoncé que j'allais écrire sur l'âge des premières fois, elle et ses amies m'ont apporté leurs journaux intimes, comme un pur cadeau, sans exhibitionnisme aucun et sans retenue. Elles m'ont dit qu'elles le donnaient à l'écrivain et elles savent que je ne juge jamais mes personnages.»

Se sont-elles retrouvées dans votre roman?

«Énormément! Et ce qui est bien, c'est qu'il n'y a pas qu'elles qui s'y retrouvent! (rires) Je me suis inspirée d'aucune précisément mais ce que j'ai pris dans leurs journaux, c'est la violence de toutes ces émotions qui est le propre de leur âge. Je prenais aussi cette problématique de la maîtrise- lâché prise. À l'adolescence, le corps change et il est envahi par des pulsions et des désirs qu'on n'avait pas avant. Tout d'un coup, l'enfant est envahi par des désirs, par des attachements sentimentaux qui prennent une place extraordinaire. Tout ce bouleversement intérieur continue durant toute la vie et il oblige l'individu à trouver sa place à travers des expériences. Alors, dans le roman, les quatre adolescentes ne vont pas toutes y arriver. Colombe va se chercher et, finalement, se trouver. Elle va devenir une femme formidable qui trouvera un vrai espace dans sa vie pour l'amour. Elle saura aimer et être aimée. Pour les autres, ça sera beaucoup plus tragique.»

Les adolescentes d'aujourd'hui ne croient-elles donc pas à l'amour et même finalement à l'amitié? Ce n'est pas un peu pessimiste?

«Je ne pense pas être pessimiste mais plutôt sans illusion. Le roman finit par Colombe qui accède à la vraie dimension d'amour. Pour moi, c'est très important d'écrire des récits qui défendent une vraie conception de l'amour, de l'amour lucide. Aimer est l'objet d'un chemin, d'un trajet. Ce n'est pas parce qu'on est envahi par un sentiment amoureux qu'on est capable d'aimer. À ce moment-là, nous sommes juste amoureux. Et, les ennuis commencent (rires). Pour moi, chacun doit se faire sa propre initiation à l'amour pour arriver à aimer. L'adolescence est tellement sensible que ça provoque des catastrophes, une violence qu'on exerce sur autrui -ça va être le cas de Julia- ou sur soi -comme Raphaëlle et Julia.»

Les parents, dans votre livre, ne montrent pas une bonne image de l'amour.

«C'est le propre de notre époque. En lisant les journaux intimes de ma belle-fille et de ses amies, je me suis rendu compte que le modèle du couple unique est cassé. Quand j'étais jeune, il y avait déjà des divorces mais ils confortaient le schéma de l'amour qui doit durer toute la vie car un divorce, c'était quelque chose d'horrible. Aujourd'hui, il y a des adultes très bien dans leurs bottes qui disent que l'amour dure le temps que ça dure et qu'après, on en vit une autre. Sincèrement, je pense que c'est bien qu'il n'existe plus qu'un seul modèle. Mais, du coup, quand on accède à l'amour, il y a une aspiration à l'éternité, un absolutisme. Les adolescentes ont l'impression d'être avec des adultes désillusionnés, donc elles se désolidarisent d'eux car elles ont l'impression qu'elles ne vivent pas la même chose qu'eux.»

Et puis, le fil rouge de votre roman, c'est la pièce de Shakespeare «Roméo et Juliette».

«C'est-à-dire que c'est la grande histoire d'amour d'adolescents dans la littérature. Roméo et Juliette vivent une histoire aussi belle que tragique. Mon roman commence de façon très rose, presque girly. Roméo et Juliette arrivent dès le début et on sent que c'est une façon de dire ‘attention, poison d'amour'. Je ne suis pas en train de considérer que l'amour, c'est un poison. C'est une substance qui selon la quantité qu'on absorbe est un élixir de vie, un remède ou un toxique. Pour moi, la naïveté, c'est d'attendre quelque chose de l'amour. La vérité, c'est que c'est l'amour qui attend quelque chose de nous. C'est nous qui faisons exister l'amour.»

Maïté Hamouchi

En quelques lignes

Julia, Raphaëlle, Colombe et Anouchka sont quatre adolescentes, les meilleures amies du monde, qui ne croient pas vraiment à l'amour. Anouchka vit la séparation de ses parents, une preuve de plus pour dire que l'amour n'existe pas. Ce qui compte le plus pour elles, c'est leur amitié qu'elles «cadenassent». Pourtant, de nouvelles pulsions et de nouveaux sentiments se déchaînent en elles. En parallèle, leur école joue la célèbre pièce de théâtre «Roméo et Juliette». Un fil rouge bien imaginé par l'auteur qui, à travers les quatre journaux intimes de ces adolescentes, montre, une nouvelle fois, toute la diversité des sentiments amoureux.

«Le poison d'amour», de Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel, 166 pages, 15€