Interview : Xavier Dolan se réconcilie avec sa ‘Mommy'

par
Jerome
Temps de lecture 5 min.

«Le Mozart du cinéma québécois.» Pour ce surnom, le réalisateur Xavier Dolan est un petit peu trop vieux maintenant, mais avouons-le: être sélectionné pour la quatrième fois au Festival de Cannes à 25 ans, c'est plutôt singulier. Le fil rouge à travers son œuvre, encore jeune mais déjà conséquente: des mères. Il était donc écrit dans les étoiles que Dolan –qui a pris le nom de famille de sa mère– ferait un jour un film intitulé ‘Mommy'.

Vous avez commencé votre carrière cinématographique avec le film semi-autobiographique ‘J'ai tué ma mère', dans lequel le personnage principal est constamment en conflit avec sa mère. ‘Mommy', quant à lui, est une ode enflammée à la figure maternelle. La boucle est-elle ainsi bouclée?

Xavier Dolan: «D'abord je trouvais que c'était des conneries, mais si je parcours un peu mes films, je peux en effet difficilement le nier. (rires) ‘J'ai tué ma mère' parlait d'un fils qui rejette sa mère. Dans ‘Laurence Anyways', une mère rejette son fils. Mais dans ‘Mommy', je montre une mère et un fils qui sont fous l'un de l'autre. Ils s'aiment tellement même, que le système les rejette eux. Je pense que je clos ainsi un chapitre en effet.»

Serait-il temps de vous mettre à faire des films sur des pères?

«(rires) Vous n'allez pas le croire, mais le personnage principal de mon prochain film sera pour la première fois un homme! Qui, bien sûr, n'a à nouveau pas de père, comme dans tous mes films.»

Avez-vous des « daddy issues », un rapport au père non résolu?

«Pas vraiment. Mon père et moi sommes très proches, et je suis fier de lui. En tant qu'être humain et en tant qu'artiste. Il joue très bien, par exemple, il a même un petit rôle dans mon film précédent ‘Tom à la Ferme'. Mais nos rapports n'ont pas toujours été aussi bons. Quand j'étais petit, nous avions une relation épouvantable. Mon père était plutôt absent. Ce qui fait que ma mère m'a à peu près élevé seule. La façon dont elle s'est battue pour surmonter cette situation, m'a beaucoup impressionné. Je n'ai pas eu une enfance malheureuse, mais vu notre situation familiale particulière, ma mère était quand même une maman peu ordinaire. Elle ne faisait pas toujours tout ce qu'on attendrait d'une mère. C'est pourquoi mon personnage principal dans ‘Mommy' fait tout différemment: là où ma mère dans la vraie vie ne me défendait pas, ici elle le fait. Là où, dans la réalité, elle ne se battait pas pour qui elle était, elle le fait dans le film. Et si, dans la vraie vie, elle avait tort, alors dans ‘Mommy' elle a raison. Ce film est ma vengeance par rapport à la réalité de ma vie.»

Si ce film est si proche de votre propre vie, n'aviez-vous pas envie de jouer vous-même le rôle du fils, comme dans ‘J'ai tué ma mère'?

(Pointe vers son visage et les cernes sous ses yeux, en secouant la tête) «Ce n'est plus possible. Je suis trop vieux. Mais j'aurais beaucoup aimé le faire. J'ai beaucoup de colère en moi. Le garçon que vous voyez dans ‘Mommy', c'est moi. J'ai maintenant aussi beaucoup plus d'expérience de la comédie que du temps de ‘J'ai tué ma mère'. Je saurais beaucoup mieux comment il faut le jouer.»

Entretemps, vous savez aussi sacrément bien comment diriger vos acteurs.

«Oui, et je le dois au fait que je joue moi-même. Ma plus grande passion, c'est d'apprendre à comprendre le processus du jeu d'acteur. Et expérimenter avec des tempéraments vifs, du sud. Essayer différents styles de jeu. Une des mes actrices préférées, c'est Kate Winslet. J'aimerais énormément travailler avec elle, pour qu'on crée ensemble quelque chose de nouveau. Cela paraît peut-être peu modeste, mais ce que je veux atteindre, c'est que des gens disent: ‘Nous ne l'avons encore jamais vue comme ça!' Je veux être le petit con arrogant qui dit: ‘Ce que vous avez fait dans cette prise, je vous ai déjà vu le faire dans votre film précédent aussi. Vous pourriez peut-être inventer autre chose maintenant? (rires)»

En tant que réalisateur aussi, vous aimez bien expérimenter: le format de l'image de ‘Mommy' est carré. Pourquoi?

«Cette idée est venue de mon directeur de la photo. Nous avions tourné ensemble un clip pour le groupe français Indochine, et il avait envie de le faire dans un format d'image carré. J'étais estomaqué, mais quand il a expliqué qu'il voulait ainsi se rapprocher de l'esthétique d'une pochette de disque, j'ai été d'accord. C'était aussi très beau à voir, tout simplement. Durant le tournage de ce clip, j'ai réalisé qu'avec une image carrée, on peut faire des portraits beaucoup plus pénétrants et plus intimes. On a l'impression qu'on pourrait ainsi mettre chaque image dans un cadre et poser celui-ci sur la cheminée. Cela rend plus humains les gens que vous filmez.»

Depuis 2009, vous avez presque tourné un film par an. Vous reste-t-il encore du temps pour vivre un peu?

«Non. Je n'ai plus de vie privée. Je n'ai pas de petit copain et je ne vois presque jamais ma famille. Avant j'avais un chat -il s'appelait Jack Dawson, d'après le personnage de Leonardo DiCaprio dans ‘Titanic', un de mes films préférés depuis toujours! Mais maintenant je suis allergique, et je ne peux donc plus m'en occuper. Autrement dit: il est temps de faire un break! J'ai l'intention de me retirer un peu du business. Je retourne à l'école: je veux étudier l'allemand et l'histoire de l'art. Je me réjouis déjà de fréquenter un peu plus des gens de mon âge. Je vais enfin devenir normal pour une fois, j'imagine. (rires)»

Allez-vous vraiment réussir à vous y tenir?

«Je n'ai pas le choix. A cet instant, je ne peux pas faire encore un film. J'ai déjà quelques nouveaux scénarios qui sont tout à fait prêts. Mais ceux-ci devront attendre encore un peu. Je sais ce qu'un film exige de soi. Même un projet de moindre envergure. C'est énormément de travail et je commence petit à petit à payer le prix de toutes ces nuits blanches. Je suis épuisé.»

Lieven Trio