Scarlett Johansson extraterrestre dans ‘Under The Skin'

par
Jerome
Temps de lecture 5 min.

Ceux qui ont envie d'un vrai trip au cinéma, doivent aller voir ‘Under The Skin' cette semaine. Le réalisateur Jonathan Glazer (connu pour les clips vidéo de Radiohead, Massive Attack et Jamiroquai, mais aussi pour ses films étonnants ‘Sexy Beast' et ‘Birth'), met ici en scène Scarlett Johansson dans le rôle d'une alien croqueuse d'hommes dans la grisaille de Glasgow. Un film plein d'images marquantes, qui a été tourné d'une façon très particulière.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas été aussi surpris au cinéma. Le cinéma est-il devenu trop sage?

Jonathan Glazer: «Je le pense, en effet. Faire un film qui surprend le public est aujourd'hui presque tabou. Les studios injectent de plus en plus d'argent dans les films, et veulent aussi que cela rapporte. C'est la raison pour laquelle on ne prend pratiquement plus de risques.»

Scarlett Johansson n'a pas peur des risques, en tout cas. Elle a pour commencer des tas de scènes de nudité dans votre film. Je vois peu d'autres superstars faire cela...

«Scarlett a tout de suite compris que les scènes de nudité n'avaient absolument pas de but érotique. Son corps nu ne devait pas servir à exciter le public, c'était filmé au contraire de façon très clinique et anatomique. Nous avions en outre une très bonne entente, elle me faisait donc totalement confiance pour avoir la bonne approche par rapport à ces scènes. Elle n'est pas non plus la seule à avoir des scènes de nu dans le film, loin de là. Il y a une démocratie de la nudité. (rires)»

Mais ces autres acteurs ne sont pas des stars hollywoodiennes, qui verront encore pendant des années des screenshots de leur corps sur internet.

«C'est exact, et cela Scarlett le savait bien sûr aussi. Mais elle a sciemment choisi de faire ce film. Ces scènes de nudité ne sont pas simplement quelque chose qu'elle devait accepter avec le reste. Elle s'est approprié ces scènes. Elle n'en a donc pas honte.»

Particulièrement courageuses aussi sont les scènes où elle part à la chasse aux hommes dans une camionnette blanche. J'ai lu que, pour les filmer, vous avez utilisé des caméras cachées. Scarlett se retrouvait-elle alors complètement seule pour gérer ces scènes?

«Oui. Nous avions placé de petites caméras dans cette camionnette pour pouvoir filmer en cachette. Je me trouvais quand même, évidemment, à l'arrière du véhicule avec l'équipe, pour tout surveiller. Scarlett conduisait elle-même, ce qui est relativement inhabituel sur un plateau de tournage, mais les gens qu'elle accostait ne pouvaient pas soupçonner qu'on tournait un film. L'idée était de la déguiser et de la droper tout simplement dans le vrai monde. Les conversations qu'on voit dans le film sont presque toutes vraies. Il y a aussi des scènes où elle se promène simplement dans la rue. Là aussi, il n'y avait pas d'équipe à proximité. Nous installions la caméra, ensuite nous partions, et nous laissions faire Scarlett.»

Personne ne la reconnaissait?

«Dans 99% des cas, non. Elle était presque méconnaissable avec ses cheveux foncés, et parlait avec un accent britannique. Et d'ailleurs, quelles sont les probabilités de rencontrer Scarlett Johansson à Glasgow par une journée grise? (rires) Les rares personnes qui la reconnaissaient quand même, étaient complètement abasourdies.»

Une superstar pour le rôle d'un alien, est-ce un choix bien approprié, en fait? Si on voit Scarlett Johansson parmi le «peuple», cela fait déjà bizarre de toute façon. Cette méta-dimension intervenait-elle aussi pour vous?

«Oui. On dirait qu'on est en train de regarder un insecte exotique qui s'est retrouvé en Antarctique. Un insecte qui essaie alors de se camoufler pour ne plus avoir l'air d'un insecte et pouvoir survivre dans ce nouvel environnement. C'est ce que fait le personnage, mais c'est ce que devait faire aussi Scarlett pour ne pas être reconnue.»

Vous nous permettez de voir avec les yeux d'une créature extraterrestre et le monde, par conséquent, va parfois sembler très absurde. Qu'est-ce que des aliens trouveraient le plus étrange chez nous les humains, à votre avis?

«Peut-être bien le fait que nous nous battons les uns contre les autres. Mais c'est, bien sûr, une supposition. On pourrait tout aussi bien se demander ce qu'un triangle penserait de nous, en fait. (rires) C'était aussi justement une des difficultés de ce film: j'essayais de voir les choses avec les yeux d'un alien, mais ce n'était possible que dans les limites de ma propre imagination humaine.»

Petit à petit, l'alien commence à être fascinée par les humains. Elle essaye de nous imiter, et voudrait peut-être bien devenir humaine. Mais pourquoi veut-elle cela? Qu'est-ce qui l'attire tant dans le fait d'être humain?

«Bonne question, car selon moi, ce n'est pas une question de vouloir en fait. Peut-être est-ce une sorte de virus, une osmose. Peut-être est-elle submergée par cette humanité et l'absorbe-t-elle, qu'elle le veuille ou non.»

Scarlett partage quelques scènes importantes avec Adam Pearson, un acteur au visage très déformé. Comment a-t-il vécu ce tournage?

«Il était particulièrement enthousiaste à l'idée de rencontrer Scarlett -c'est un grand fan de ‘The Avengers'. (rires) Mais le fait qu'on lui donne un rôle dans un film le rendait très fier. Adam trouve terrible que le cinéma ne donne jamais leur chance à des gens comme lui. Il y a pourtant beaucoup de personnages de films qui ont des malformations au visage ou sont complètement défigurés. En général, ce sont les méchants, ce qui est déjà en soi assez blessant. Mais le pire, pour Adam, c'est que ces personnages sont presque toujours interprétés par des acteurs ‘normaux', que l'on transforme alors avec du maquillage et des prothèses. Il faudrait que ça, ça change, trouve-t-il. Et ce film est un pas dans la bonne direction.»

Lieven Trio

 @l_trio