La lutte contre la radicalisation s'organise

Au lendemain des attentats, les politiques ont tardé à lancer des programmes de prévention contre le phénomène complexe et polymorphe de la «radicalisation». Pour le chef de projet «radicalisme» de la Ville de Bruxelles -qui préfère taire son identité-, seule une réponse individualisée compte pour «désengager» des individus.
par
Gaetan
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Comment fonctionne votre cellule de «déradicalisation»?

«Ce n'est pas une cellule de ‘déradicalisation'. Il est important de comprendre que nous sommes ici dans le champ de la prévention de la radicalisation qui peut amener à la violence et ce travail se décline en plusieurs niveaux d'actions concrètes (cf. encadré). Concernant l'accompagnement individuel, ce travail vise non pas à ‘déradicaliser' mais à ‘désengager'. Le désengagement, c'est le fait qu'une personne renonce à la légitimation de la violence par rapport à une cause idéologique quelconque pour qu'elle respecte le cadre de la loi et trouve une manière démocratique et pacifiste d'exprimer ses valeurs et les critiques éventuelles de la société.»

Pourquoi faire cette différence sémantique?

«Parce que la ‘déradicalisation' suppose un changement cognitif, de valeurs, et on considère en Belgique, à la ville de Bruxelles en particulier, que ce n'est pas le travail d'un pouvoir public que de changer les valeurs d'un individu. Dans une démocratie, il est légal et toléré d'avoir des opinions, y compris radicales, pourvu qu'elles respectent le cadre de la loi. Je dirais aussi qu'on trouve aussi des expériences préalables et historiques de ‘désengagement'. Je pense à l'Irlande du Nord avec l'IRA, à l'Espagne avec l'ETA ou à la Colombie avec les FARC et où des résultats pratiques ont été obtenus. Lorsqu'on parle de ‘déradicalisation', on est dans quelque chose qui n'a pas de cadre méthodologique sur lequel on pourrait s'appuyer.»

Mais, les situations sont différentes…

«Le contexte historique est différent. Mais par rapport au processus par lequel des individus sont embrigadés dans une idéologie extrémiste qui légitime l'usage de la violence, les mécanismes sont comparables. Ce qui change, c'est le cadre idéologique, les circonstances historiques, géographiques et politiques.»

Il existe donc différentes radicalisations?

«Quand on parle de radicalisation, on peut distinguer deux types principaux de processus. Il y a le fait de s'identifier à des idées ou à des valeurs radicales mais qui ne sont pas nécessairement violentes comme adhérer à un parti qui porte des idées radicales de changement de la société. Le terme ‘radicalisation violente' est utilisé pour distinguer la ‘radicalité légale' des processus qui mènent des individus à rejoindre des groupes extrémistes qui légitiment la violence et qui représentent un danger pour la sécurité publique.»

Combien d'individus ont été pris en charge à Bruxelles?

«La Ville de Bruxelles ne communique pas de chiffres individuels du travail.»

Mais ça fonctionne?

«Oui, la situation et l'évolution sont positives. Aujourd'hui, on constate que les gens nous contactent plus rapidement, ce qui nous permet de prendre en charge les situations problématiques beaucoup plus tôt.»

Nos sources qui ont suivi vos formations applaudissent les clés de décodage mais regrettent le manque de clarté sur la procédure de désengagement…

«Tout dépend de l'institution qui a reçu cette formation. Il y a des métiers qui sont directement concernés par la prise en charge individuelle donc là, la formation est très poussée. Mais quand on s'adresse à des enseignants, ce n'est pas leur métier de s'occuper du désengagement et on respecte ce cadre de fonction. Le but n'est pas que tout le monde fasse de la prévention à la radicalisation mais que chacun puisse être correctement informé et que, dans son profil de fonction, il ait des outils adéquats.»

La procédure de «désengagement» est-elle opérationnelle?

«La méthodologie est structurée et suit un protocole défini, basé sur l'analyse des pratiques et de la littérature existantes mais aussi de nos propres constats de terrain pour une réponse «sur mesure». L'une des parties cruciales de ce travail, c'est de pouvoir prendre connaissance du point de vue de la personne: ses représentations, d'elle-même et du monde, et de pouvoir comprendre quelles sont les motivations qui l'ont amenée à s'identifier à un discours extrémiste violent. Cela permettra dans un deuxième temps de travailler sur ces motivations et de trouver des alternatives démocratiques à leur expression. On doit l'admettre, ce processus est complexe et la méthodologie doit être peaufinée. Cela demandera du temps.»

La complexité institutionnelle entrave-t-elle votre travail? Quels moyens (humains, financiers, etc.) sont nécessaires pour optimiser vos actions?

«La situation institutionnelle belge ne facilite pas le travail. Mais quand on voit qu'elle bloque tout sur d'autres dossiers, on se dit qu'il y a eu un véritable effort de coordination et d'intégration des différents niveaux de pouvoirs. Sur le long terme, les politiques de prévention de la radicalisation restent quelque chose de nouveau. Et en termes de moyens alloués par différents niveaux de pouvoir. Et il faut le dire, les communes sont toujours sous-financées par rapport à la demande. Donc si on veut pérenniser nos actions, on a besoin d'un budget plus conséquent tout en perfectionnant nos méthodes. Enfin, je pense sincèrement que le travail contre la polarisation deviendra un objectif prioritaire à l'avenir.»

Cellule PRE-RAD

Le projet de prévention de la radicalisation est assuré par la cellule PRE-RAD au sein l'ASBL Bravvo, elle-même chargée de la prévention de la Ville de Bruxelles.

Sa mission préventive est triple:

1) La primaire:

concerne des activités d'informations factuelles du public et du secteur associatif pour «lever le tabou social qui entoure cette question et lever le voile sur les soutiens existants». En 2016, 45 sessions de ce type ont été données dispensées.

2) La secondaire:

consiste à former les professionnels de premières lignes (assistants sociaux du CPAS, enseignants, personnels de prévention, etc.), en fonction des spécificités de leurs métiers. Ils seront amenés à réagir à degrés variables à «des situations inquiétantes» ou auprès « de publics plus vulnérables». Depuis 2014, 2.500 professionnels ont été formés.

3) La tertiaire:

comprend la prise en charge et l'analyse de «situations inquiétantes» et la mise en place d'un accompagnement individuel, voire éventuellement d'un soutien familial.

 

BELGA / N. MAETERLINCK

Les appels sont peu nombreux au Caprev

Ouvert aux professionnels depuis le 1er décembre 2016, le CAPREV (Centre d'aide et de prise en charge de toute personne concernée par le radicalisme et les extrémismes violents) n'est opérationnel que depuis janvier 2017 pour le grand public. Depuis la mise en place de la ligne, 161 appels ont été reçus (80% de la part de professionnels, 20% de la part particuliers) et une vingtaine de dossiers de prises en charge ont été ouverts, d'après les chiffres fournis par le cabinet du ministre Rachid Madrane (PS), à l'initiative du projet pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Autant dire que la quinzaine d'employés ne croulent pas sous la masse de travail. Notre interlocuteur salue lui la prise en main du phénomène par d'autres niveaux de pouvoirs. «Jusqu'à présent, les réponses concrètes n'ont été mises en œuvre qu'au niveau local, celui des communes. Maintenant, cette structure est nouvelle et doit encore s'inscrire dans le paysage institutionnel, construire ses réseaux, définir sa méthode de travail, mettre en œuvre des partenariats et articuler la coordination avec les communes. À ce niveau-là, on est toujours en attente et elle doit encore faire ses preuves.»

Photo AFP

278

Aux 278 combattants belges présumés en Syrie, s'ajoutent près de 118 présumés de retour en Belgique, d'après le cabinet du ministre fédéral de l'Intérieur Jan Jambon (N-VA). Les returnees belges (40 en 2013, 62 en 2014, 42 en 2015 et 7 pour l'instant en 2016) sont incarérés à leur retour. Certains ont depuis été libérés et suivent des programmes de réinsertion.

Gaëtan Gras