Au théâtre cette semaine - 7 février 2017

Il y a de quoi rire, pleurer, s'émerveiller et applaudir dans nos théâtres. Voici notre sélection de la semaine.
par
Nicolas
Temps de lecture 3 min.

 Laïka

Dans « Discours à la nation », l'auteur et acteur italien Ascanio Celestini, héritier de Dario Fo et de son théâtre récit, nous démontrait, non sans une certaine ironie, la mécanique du discours des puissants et la volonté de ceux-ci à vouloir maintenir les rapports de force qui leur sont si favorables. Dans « Laïka », il descend de son estrade de tribun pour nous faire rencontrer ces p'tites gens qui font la société telle qu'elle se vit au quotidien. C'est le comédien David Murgia qui s'y colle à nouveau pour cette création en français, ovationnée lors de l'ouverture du Festival de Liège. Il incarne cette fois un pauvre bougre, amateur de péket et de grands discours à ses « amis du bar ».

Dans un flot de mots hallucinant de vivacité mais compréhensible dans toutes ses syllabes et tous ses sens, il va nous emmener à la rencontre d'un SDF, d'une vieille dame seule et d'une prostituée. Au quotidien, ces personnages jouent leur survie. Et quand chacun se sent rejeté, la seule voie reste la solidarité. Ils sont tous les Laïka de notre temps, comme la chienne de Baïkonour, symbole de l'infériorité de l'animal par rapport à la supériorité de la science humaine. Et finalement, c'est elle qui s'est retrouvée dans sa capsule au plus près du divin. La métaphore, aussi décalée soit-elle, transpire de la relation toujours compliquée entre la république italienne et la religion omniprésente dans sa vie publique. Elle constitue un exemple précieux pour notre quotidien sans cesse confronté aux nouvelles manifestations du religieux, tout en allant plus loin.

"Laïka" - Ph. Dominique Houcmant

Il est difficile de perdre une miette de ce que nous raconte ce Christ (du) pauvre, tant Murgia excelle dans son interprétation, confirmant son talent récompensé aussi au cinéma lors des récents Magritte (meilleur second rôle masculin). C'est un régal pour les oreilles rythmé par un saint Pierre accordéoniste (Maurice Blanchy) renforçant l'émotion et la musicalité déjà jubilatoire des mots. Le duo Murgia-Celestini frappe ici encore un grand coup, shootant dans la fourmilière de nos sociétés actuelles où l'espoir peut naître là où on l'attend le moins. Jésus revient, et il aime le péket et les p'tites gens !

Si ça va, bravo

Ça va ? Cette question anodine est aujourd'hui l'équivalent d'une salutation polie suivant souvent « Salut ! » ou « Bonjour ! ». Pourtant si l'on s'arrête un moment, ces deux mots viennent interroger l'humeur du moment, un état de santé à l'instant T. L'automatique réplique « Ça va ! » en a effacé son sens premier. C'est de quoi s'amuse l'auteur français Jean-Claude Grumberg dans cette comédie à sketches. Marie-Paule Kumps et Pascal Racan se lance donc tout à tour la fatale question et sont tantôt des rabat-joie (« Non, ça va pas ! »), les hypocondriaques (« Couci-couça ») mais aussi les éternels optimistes (« On ne peut mieux ! »).

"Si ça va, bravo" - Ph. D. R.

Les deux comédiens, monstres comiques de nos scènes, se révèlent incroyablement complices ne laissant que peu de  temps morts entre les situations. Ils sont tous les personnages et toujours les mêmes à la fois, privilégiant leurs échanges. C'est à peine si la metteuse en scène Emmanuelle Mathieu vient par petites touches temporiser leurs échanges pour nous laisser souffler. Cette comédie du rien, de l'anecdote fonctionne grâce à son énergie communicative et ses dialogues assez fins, zyeutant parfois sur l'absurde. Un théâtre d'acteurs qui fait du bien. Et pour rien que ça, bravo !

Tabula Rasa

Autre spectacle avec « Laïka » créé au Festival de Liège, « Tabula Rasa » nous fait nous asseoir autour d'une table. Pas n'importe laquelle, celle des repas familiaux. D'entrée de jeu, les quatre comédiens nous dressent la cartographie de ces lieux domestiques régis par leurs règles, leurs us et coutumes. Un père qui préside, une mère qui sert et dessert, des enfants qui s'agacent,... Comme nous l'annonce Violette Pallaro en voix-off, sa première création va nous parler d'histoires simples, comme on en connaît tous. C'est autour de la table que les familles se construisent et se détruisent, se comprennent et s'invectivent. Ces rapports nous fondent.

"Tabula Rasa" - Ph. Dominique Houcmant

Par sa construction en patchwork de saynètes où le décor est à chaque fois recomposé, « Tabula rasa » parvient à brasser de nombreux thèmes : intimes -une mère qui s'inquiète des troubles alimentaires de son ado-, amoureux -un fils qui présente sa nouvelle fiancée à ses parents un peu rustres-, sociaux -un père qui répète son entretien d'embauche. La table est le point de départ de confidences, d'échanges, de colères. Et même si le spectacle s'éparpille un rien dès qu'il quitte les chaises dans sa seconde partie, on se retrouve en chaque récit. On rêve d'avoir à partager un repas avec ce formidable quatuor d'acteurs (Thierry Hellin, Lara Persain, Laura Fautré et Clément Goethals) que Violette Pallaro observe en sociologue du quotidien, nous invitant à en faire de même.

Contractions

On apprenait avec effroi la semaine dernière qu'une entreprise malinoise avait « pucé » des employés volontaires pour leur permettre de pointer, d'ouvrir leur session informatique. Ce qui apparaissait jusqu'il y a peu comme de la science-fiction est aujourd'hui une réalité, avec l'inquiétante impression d'être traqué jusque dans son propre corps. Cette actualité questionne notre rapport au travail et le difficile équilibre à observer entre vie privée et vie professionnelle. Mais si l'on en croit le propos de « Contractions », il n'aura pas fallu attendre les puces RFID pour voir la curiosité de votre employeur pousser le bouchon aussi loin. Le dramaturge anglais Mike Bartlett y traite de ces « love contract », des clauses d'un contrat d'emploi limitant et sanctionnant toute relation intime entre collègues.

"Contractions" - Ph. Alice Piemme

C'est que cette manager rappelle à Emma au cours d'entretiens réguliers. Emma est pourtant une employée modèle, exécutant ses tâches avec des objectifs largement rencontrés. Pourtant son rapprochement avec l'un de ses collaborateurs va alerter sa supérieure. Cette dernière usera d'un subtil interrogatoire poussant sa subalterne à sa propre remise en question poussant l'intrigue jusqu'à l'absurde. L'écriture est diablement efficace par son systématisme et sa répétition d'un schéma destructeur. À travers une mise en scène aux accents futuristes, Marcel Delval place ses deux comédiennes dans un aquarium pour être mieux observées. Joséphine de Rennesse s'investit dans son rôle d'employée qui en veut mais qui ne comprend pas pourquoi ses flirts intéressent tellement sa boss. Hélène Theunissen campe solidement une cheffe de service monolithique et plus procédurière que véritablement manipulatrice. Ses questions sont insidieuses et témoignent d'un système prêt à broyer. De quoi faire froid dans le dos.

Antigone

"Antigone" - Ph. Lander Loeckx

C'est l'histoire sanglante d'un clan aristocratique, celui des Labdacides qui s'enfonce dans le crime, pourchassé par la malédiction des dieux mais aussi pris d'une soif destructrice de pouvoir. Antigone passionne encore et toujours. La fille d'Oedipe demeure la figure de la justice familiale, elle qui a voulu accorder à son frère Polynice, chassé de la cité de Thèbes par son oncle Créon, tué par son frère Étéocle lors d'un combat qui réserva aux deux le même destin funeste, une sépulture digne de son statut de prince.

"Antigone" - Ph. Lander Loeckx

Ce n'est pas la première fois que le chorégraphe et metteur en scène José Besprosvany s'empare d'un mythe antique. On se souvient de son séduisant « Oedipe » sur la scène de ce même théâtre du Parc. Il même de nouveau danse et jeu pour coller à la structure d'une pièce antique fait de dialogues basés sur une nouvelle traduction de la pièce de Sophocle par l'helléniste Florence Dupont. Antigone (Héloïse Jadoul) est aux yeux de son oncle Créon (Georges Siatidis) une intégriste, prête à braver le pouvoir des siens pour rendre justice à ses frères. Les chœurs typiques de la tragédie antique sont ici dansés parfois de manière tribales. Cinq danseurs s'exécutent au rythme de la scansion des acteurs-conteurs, et notamment d'un coryphée envoûtant incarné par Isabelle Roelandts. José Besprosvany construit une imagerie et un univers séduisant sur un plateau nu, habillé de lumières changeantes. Ce sont d'ailleurs ces moments que l'on retiendra, davantage que les parties jouées parfois un peu éteintes par rapport à ces instants collectifs plus habités et maîtrisés.

Nicolas Naizy