Les moines se louent dans un Japon qui fait une crise de foi

La cérémonie est des plus classiques: encens, soutras et tintement de cloche. Le moine bouddhiste revêt tous les attributs de la fonction, pourtant il n'officie pas dans un temple, mais chez un particulier qui l'a déniché sur internet.
par
Gaetan
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"Il y a beaucoup de temples dans les environs, mais je ne savais pas qui contacter", raconte sous couvert d'anonymat le client en question. Alors, pour le premier anniversaire du décès de sa mère, il s'est tourné vers le web où il a découvert qu'une start-up, Minrevi, était spécialisée dans la location de moines. Avec un tarif fixe: 35.000 yens (286 €) pour un service funèbre de 30 minutes.

Un simple coup de fil, et voilà Kaichi Watanabe qui se présente chez lui. "Un moine a pour rôle de faire découvrir le message de Bouddha mais aujourd'hui de moins en moins de personnes viennent frapper à nos portes pour avoir cet enseignement", relève le religieux de 41 ans, séduit par l'idée d'aller à la rencontre de ses ouailles.

Première offre en 2010

Le gouvernement ne dispose pas de statistiques sur les différentes confessions. Pour beaucoup de Japonais, la religion, shintoïsme ou bouddhisme, est plus une formalité saisonnière, qui les mène au sanctuaire ou au temple pour les grands moments de la vie et les festivités traditionnelles.

AFP / T. KITAMURA

Minrevi a démarré ce service en mai 2013, sur les pas du groupe de grande distribution Aeon qui avait le premier fait scandale en lançant une offre similaire en 2010. La demande est en plein essor alors que le lien avec les temples locaux, au rôle autrefois central dans la communauté, se perd.

"Marchandisation"

Les usagers apprécient aussi dans cette formule la transparence des tarifs, par opposition au système opaque des donations ("ofuse") pratiqué dans les temples. "Pour nous, clients, il y a un côté rassurant et facile d'accès car on nous propose une grille de tarifs clairement établie", témoigne ainsi l'homme qui a fait appel aux services de Minrevi.

Dans le modèle traditionnel, les familles doivent faire plusieurs donations du montant de leur choix, pendant plus d'une décennie. Grâce à cet argent, les temples procèdent aux rénovations très coûteuses de leurs bâtiments, mais des fidèles déplorent la priorité donnée à la récolte de fonds au détriment de l'accompagnement spirituel.

Chiko Iwagami, un des responsables de la Fédération japonaise du bouddhisme, reconnaît que certains moines ont réclamé de manière inappropriée des montants spécifiques. "Cela fait fi de l'esprit des donations", déplore-t-il. Dans le même sens, il fustige aussi la location de moines. "C'est une marchandisation des donations, c'est extrêmement regrettable", juge-t-il.

"Répondre à un besoin"

Des critiques balayées par Masashi Akita, vice-président de Minrevi, pour qui religion et business ne sont pas incompatibles. "Nous ne faisons que répondre à un besoin existant en proposant une plateforme" connectant moines et particuliers, répond-il, brandissant le succès de sa compagnie qui revendique 700 moines pour 12.000 demandes en 2016 (+20% sur un an).

"J'étais choqué quand j'ai appris que des gens ne savaient pas comment contacter un moine", dit-il. "J'ai eu envie d'être ce pont".

AFP / T. KITAMURA

Au lieu de crier au scandale, "les autorités bouddhistes doivent s'interroger sur la façon de gérer leur paroisse avec des revenus en déclin. Mais il semble qu'elles ne veuillent pas regarder la réalité en face", estime Kenji Ishii, professeur à l'université Kokugakuin.

Pourtant c'est un fait, les temples se vident tandis que la population vieillit et décline et que les zones rurales se dépeuplent: environ un tiers des 75.000 temples actuels risquent de fermer d'ici à 2040, faute de fidèles, souligne M. Ishii.