Barbara Abel: Un enfant est-il toujours innocent?

C'est dans un café du Parvis de Saint-Gilles que nous rencontrons la Bruxelloise Barbara Abel. L'auteure est fidèle à ses habitudes et nous livre, une fois de plus, un super thriller à en faire frissonner plus d'un. Alors, comme elle le met si bien en scène, est-on réellement innocent quand on ne sait pas?
par
Maite
Temps de lecture 4 min.

Une fois de plus, vous nous livrez un thriller. Qu'est-ce qui vous plaît dans ce genre littéraire?

«J'aime jouer avec une mise en scène et trouver le meilleur moyen de raconter une histoire en ménageant des effets. En réalité, cette histoire, je pourrais en faire un roman social, psychologique, ou un roman de littérature blanche si je l'avais prise sous un autre angle. Ce qui est assez amusant dans le thriller, c'est de mettre en place des trucs narratifs pour relancer l'intérêt du lecteur, pour que l'empathie fonctionne. Je trouve que c'est une littérature plus dynamique et participative.»

Vous n'aviez pas envie de douceur, d'écrire quelque chose de plus léger?

«Pour faire quelque chose de très léger sans tomber dans le ridicule, il faut être très doué. Et je ne sais pas si je suis si douée que ça (rires)! J'ai déjà essayé de changer de genre mais les gens n'étaient pas au rendez-vous. L'écriture est aujourd'hui ma seule source de revenus. Je dois donc faire attention et ne pas prendre trop de risques. Que je vende ou pas mes bouquins, je dois payer mes factures au début du mois.»

 

Votre roman commence par une histoire d'adultère. Camille se fait surprendre par sa fille en train d'embrasser un autre homme que son mari.

«J'aime ces situations qui attisent la curiosité. J'ai envie de susciter chez le lecteur le besoin de tourner la page pour connaître la suite. La petite fille a 5 ans. Son âge est important. Elle a assez de conscience pour comprendre ce qu'il se passe mais elle est trop petite pour être raisonnée. De toute façon, face à une telle situation, une mère ne peut être que mal à l'aise.»

La maman culpabilise mais elle a envie de continuer à voir son amant.

«Cette passion ravive tout ce qui a été endormi en elle pendant des années. Mais après, avec le drame de la disparition de sa fille, l'amant ne fait plus du tout le poids. La famille se resserre autour du noyau. Dans l'esprit de Camille, le fait d'avoir un amant n'est possible que si tout va bien. Le fait d'être accaparée par quelque chose d'aussi grave qu'une disparition rend l'adultère impossible.»

En ce qui concerne la disparition de sa fille, cela se passe lors d'une sortie scolaire durant laquelle la tension monte entre la petite fille et son institutrice. La petite s'enfuit mais on la retrouve quelques heures plus tard. Le lecteur sait que durant sa disparition, son institutrice l'avait retrouvée.

«Cela aussi est un truc lié au thriller: mettre le lecteur dans la confidence. Il y a de grosses différences entre le polar -ici, le lecteur suit l'enquête comme un policier- et le thriller. Avec ce dernier, le lecteur peut en savoir plus que les personnages. Je pense que c'est grâce à cela que ce genre fonctionne. Si j'avais raconté l'histoire sans expliquer dès le début au lecteur que la petite fille avait été retrouvée par son institutrice qui elle-même a disparu après cela, l'histoire aurait été sans grand intérêt, voire décevante.»

Vous aimez jouer avec la psychologie de vos personnages. Comme dans vos anciens romans, ici aussi, on se rend compte qu'en réalité, on avait mal jugé vos personnages, on ne les connaissait pas si bien que ça.

«Comme je le disais, je suis partie prenante pour raconter au lecteur plus que ce que les personnages savent pour qu'il puisse anticiper. Par contre, je dois dispatcher les informations pour pouvoir avoir ce fameux coup de théâtre. Je suis de plus en plus persuadée que le lecteur joue un rôle important dans l'histoire, dans son interprétation. Je me rends compte que des lecteurs voient des mystères, des tensions là où je ne le pensais pas. Ils construisent leurs propres tensions et relations avec les personnages. Ils apportent une grande part de leurs propres angoisses.»

Plus l'enquête avance, plus les portraits de l'institutrice et de la petite fille s'éclaircissent. Et il y a de plus en plus de similitudes entre les deux personnages.

«C'est arrivé en cours d'écriture. Je me suis rendu compte que les deux filles suscitaient les mêmes réactions chez les autres personnages, à la différence près que l'une était très jolie et l'autre très laide. En racontant l'enfance d'Emma, je raconte aussi l'enfance de Mylène, et sur ce, j'induis l'adolescence d'Emma.»

À travers ce roman, on se rend compte que ce n'est pas parce qu'on est enfant, qu'on est réellement innocent.

«Personnellement, je n'aime pas tous les enfants. Certains sont antipathiques, des têtes-à-claques. Ce n'est pas parce que ce sont des enfants qu'ils sont forcément doux et angéliques. Il y a des gamins qui ne sont vraiment pas sympas! Je sais que ce n'est pas très politiquement correct de dire que tu n'aimes pas un enfant de 5 ans, mais ça arrive! J'ai donc voulu mettre en scène une petite fille sournoise.»

« Je sais pas », de Barbara Abel, éditions Belfond, 304 pages, 19,90€