Au théâtre cette semaine - 6 décembre 2016

Saint Nicolas n'oublie pas les planches en gâtant les spectateurs de jolis spectacles sur nos scènes bruxelloises et wallonnes. Pour tous les enfants sages !
par
Nicolas
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La Course

Un coup de coeur pour cette course folle. L'histoire est simple mais la manière avec laquelle Une Tribu Collectif -composé d'Alice Hebborn, Sarah Hebborn, Valentin Périlleux et Michel Villée- nous la raconte l'est beaucoup moins.

La Course - Ph. Hubert Amiel

Dans une ville de province française, les locaux peuvent compter sur un atelier de confection faisant travailler pas mal d'ouvriers et d'ouvrières. La distraction du dimanche, c'est d'assister aux courses cyclistes et de suivre les exploits de son héros local. Amateur, il décroche un jour la victoire tant attendue. Mais il n'apparaîtra pas sur le podium, comme volatilisé entre le ligne d'arrivée et le lieu de la célébration. Cela a de quoi provoquer la stupéfaction d'une population. Ou comment un événement aussi heureux s'ouvre sur un gouffre de questions et d'incertitudes?

La Course - Ph. Hubert Amiel

Cette histoire aux allures de chronique de presse régionale se déploie sous nos yeux avec une créativité excitante. Dans un décor d'atelier, où les machines à coudre sont les métronomes d'un travail consciencieux, un univers va se dessiner en direct, comme ce paysage de Tour de France cousu d'une pièce comme une ligne du temps sur laquelle on fait défiler des sportifs de plomb. Il y a encore cette marionnette qui se fabrique en direct. Manipulée par les trois comédiens, elle prend vie de manière réaliste. Et que dire de cet amusant final où trois bicyclettes, tels des animaux observés dans une nature sauvage, accomplissent un rite amoureux digne des plus beaux documentaires animaliers?

Il se dégage de "La Course" une atmosphère onirique, parfois étrange voire angoissante. Ce conte du quotidien prend des allures de rêverie permise par l'inventivité de la narration. Certes, l'intrigue ne dévoile pas tous ses secrets, laissant le public se construire ses propres sensations. Fort présent sur la scène jeune public, le théâtre d'objets trouve ici une déclinaison familiale (dès dix ans) qui parvient à nous émouvoir et nous questionner, à tout âge.

Nous sommes pareils à ces crapauds... & Ali

Pour son ultime saison de direction au Théâtre National, Jean-Louis Colinet voulait un best-of des dix années passées à la tête du paquebot du boulevard Emile Jacqmain. Il ne pouvait oublier les frères Ali et Hédi Thabet qui nous ont subjugués avec ces deux spectacles visibles toute cette semaine. Avec leur complice Mathurin Bolze, ils offrent deux projets circassiens à ne certainement pas manquer.

Nous sommes pareils à ces crapauds... - Ph. Manon Valentin

Dans leur première proposition au titre interminable ("Nous sommes pareils à ces crapauds qui dans l'austère nuit des marais s'appellent et ne se voient pas, ployant à leur cri d'amour toute la fatalité de l'univers", extrait des "Feuillets d'Hypnos" de René Char), nous sommes conviés à un mariage. Des musiciens entonnent une musique, du rébétiko grec, pour animer la fête. La mariée retrouve son époux mais dans leur austère parade nuptiale vient se joindre un troisième larron, unijambiste. Perturbateur de l'amour ou révélateur de passion, il usera de ses béquilles comme d'engins d'acrobaties et se lance dans un étrange ballet à trois.  Les virevoltes font tourner les têtes et les corps. L'épouse en transe fait tournoyer ses  longs cheveux comme pour hypnotiser une assemblée prise aux tripes par les notes nostalgiques de l'orchestre présent sur scène. Entre cirque et  danse, ce moment virtuose est d'une poésie incroyable au coeur d'une Méditerranée rude, tempêtueuse et pleine de passion.

Ali - Ph. Manon Valentin

Plus léger mais tout aussi fascinant, "Ali", deuxième chapitre de la soirée, se veut comme une célébration de la complicité. Hédi Thabet et Mathurin Bolze se confondent dans une danse où l'on se sait plus très bien qui est qui. Comme si de la danse des deux artistes, naissait un troisième personnage. Une ode à l'amitié et la solidarité qui épate ici aussi dans son exécution, où l'illusion d'optique joue avec notre regard parfois si cartésien.

"Nous sommes pareils à ces crapauds... & Ali", de Hédi et Ali Thabet, Mathurin Bolze et Sofyann Ben Youssef, au Théâtre National du 6 au 10 décembre.

Chaplin

Voici une pièce qui vient à point pour les fêtes. Si l'on devait retenir les grands conteurs du 20e siècle, Charlie Chaplin figurerait certainement en haut de la liste.

Fait exceptionnel, le Parc nous offre en cette fin d'année le première spectacle théâtral autorisé sur la vie du roi de la comédie et du cinéma muet. Pourtant c'est à un moment de doute que l'on retrouve ici l'interprète de Charlot. Ce personnage de vagabond facétieux qui l'ennuie. Lassé des comédies slapstick réalisées à toute vitesse pour alimenter les nombreux cinémas du monde entier qui ne réclament que Charlot, Chaplin souhaite passer à autre chose. En plus de faire rire, il veut émouvoir. Rêveur devant sa machine à écrire, il va se laisser entraîner par un petit garçon farceur dans son passé comme dans son futur.

Ph. Zvonock

Détachés de toute évocation linéaire, Othmane Moumen, Jasmina Douïeb (à la mise en scène également) et Thierry Janssen ont imaginé à trois un scénario où la réalité convoque la rêverie. Ils nous immergent dans l'imagination d'un artiste où se croisent les soucis du quotidien et les inspirations. Par une scénographie encore une fois inventive et spectaculaire -comme sait si bien le faire le duo Thibaut De Coster-Charly Kleinermann-, la course à de Chaplin va d'évocations cinématographiques -des Lumières de la Ville aux Temps Modernes- en scènes plus réalistes. Pressé par une mère (une amusante Jo Deseure) qui ne cesse de projeter en son fils ses propres frustrations artistiques (chanteuse de music-hall qui connaîtra une fin de carrière difficile suite à des problèmes mentaux), Chaplin devra se délester d'un poids familial pour laisser parler l'artiste qu'il souhaite devenir.

Ph. Zvonock

Dans ce spectacle dont il est le pilier, Othmane Moumen livre une prestation doublement convaincante. Parfait dans sa prestation première en captant la gestuelle et les mimiques de l'acteur qu'il incarne, il n'en oublie pas la composition d'un homme pris en étau par les impératifs d'une industrie dont il est le jouet et des ambitions artistiques supérieures. Il parvient à faire oublier les exagérations de certains de ses compagnons de scène. "Chaplin" joue donc adroitement sur deux registres: l'évocation réussie d'une imagerie, issue de la filmographie de l'artiste que tout le monde connaît, et le parcours d'un maestro du rire qui trouvera dans le "Kid" l'aboutissement d'une réflexion mêlant rire et émotion.

"Chaplin", d'Othmane Moumen, Jasmina Douïeb (à la mise en scène également) et Thierry Janssen, au Théâtre royal du Parc jusqu'au 17 décembre et en représentation festive le 31 décembre.