Riad Sattouf : « Je préfère que mon histoire soit intéressante avant que les dessins soient jolis »

C'est dans un grand hôtel bruxellois que nous rencontrons Riad Sattouf pour la promotion du troisième tome de ‘L'Arabe du futur', qui nous transporte dans un petit village syrien à la fin des années 80.
par
Maite
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Vous êtes un grand fan de Tintin apparemment.

« Je suis surtout un admirateur d'Hergé. J'ai appris à lire et à écrire en français en lisant Tintin. Ses BD ont sûrement une part de mystère surnaturelle parce qu'ils sont venus dans ma vie à une époque où je ne savais pas lire.»

Votre admiration pour Hergé influence-t-elle votre coup de crayon et votre façon de raconter une histoire?

« C'est difficile de savoir si cela est fait consciemment ou non. Je trouve qu'Hergé est un maître de la narration, du rythme et de l'apparente simplicité graphique. C'est un peu comme si c'était une référence inconsciente. Mais il est vrai que j'aimerais atteindre un jour au moins un quart de sa maitrise de la narration. »

 

La précision dans les dessins et la narration, c'est quelque chose que l'on retrouve à chacune de vos cases et de vos planches, tout comme le jeu avec les avant- et les arrière-plans.

« Pour moi, le dessin n'est pas l'élément central d'une bande dessinée, étant donné que j'écris le scénario. De mon point de vue, la bande dessinée, c'est avant tout l'écriture. Mais les deux arrivent en même temps : le texte et le dessin. Je préfère que mon histoire soit intéressante avant que les dessins soient jolis. »

Vous expliquez dans des interviews la difficulté de se dessiner soi-même et de s'imaginer enfant.

« C'était une question importante car c'est celle qui m'a empêché pendant des années de me lancer dans ce projet. Mais finalement, je pense que je m'en suis un peu libéré en m'éloignant un peu de la réalité, en me transformant en personnage ainsi que mes parents. En ce qui les concerne, j'ai changé leur visage, leur nom, etc. Cela m'a permis de prendre une certaine distance et de me libérer vis-à-vis de moi-même. Il est vrai que ça peut être un peu pénible l'auto-observation. Dans ‘L'Arabe du futur', je n'ai pas le sentiment de faire cela car même si mon personnage vit les mêmes situations que moi, j'ai mis une distance avec lui. »

Les événements que vous relatez, certains vous ont-ils été rapportés ? Ou viennent-ils tous de vos propres souvenirs ?

« L'idée de l'Arabe du futur était de rapporter les événements seulement à partir de ma mémoire. Je voulais que cela soit mon propre témoignage. Je n'ai interrogé personne. Chaque scène vient d'un vrai souvenir. Mais il y a des souvenirs que j'ai re-dialogué. Par exemple, dans le premier tome, je raconte une scène durant laquelle mon père est en train de lire le Livre vert de Mouammar Kadhafi et que ma mère rigole. Je me souviens parfaitement de cette scène mais pas des pages précises qu'ils lisaient et qui la faisaient rire. J'ai retrouvé ce livre et j'ai recomposé cette histoire. Je peux reconstituer les histoires mais cela part d'un vrai souvenir. »

Dans ce tome, votre père vous raconte par exemple la chute de l'empire ottoman. Est-ce vraiment de cette façon qu'il l'a racontée ?

« Mon père parlait tout le temps d'histoire. Il racontait des récits d'hommes puissants qui avaient changé le cours de l'Histoire. Il était fasciné par ça. Ce que j'aime dans cela, c'est que l'Histoire est, pour un enfant, racontée brutalement, complètement subjectivement en traitant les différents protagonistes  d'imbéciles. Mais je pense qu'à chaque fois, je suis assez fidèle à mes souvenirs. »

L'enfant que vous étiez était intéressé par toutes ces histoires ?

« Je crois que je ne comprenais pas tellement. Cela m'intéressait mais j'avais du mal à visualiser les choses. Ce qui m'intéressait surtout, c'était la fascination que mon père avait pour ces histoires. Le voir si passionné et impressionné par ses événements me faisait penser qu'ils devaient être vraiment fantastiques. Je pense que c'est aussi une raison pour laquelle je ne les ai jamais oubliés. »

Dans ce tome, à un moment, votre père pète un véritable câble, vis-à-vis notamment de sa mère. Cet affrontement va rendre sa mère ‘malade'. Elle tombe dans les pommes, elle est alitée pendant des jours. C'est une scène qui s'est réellement déroulée ?

« (Rires) C'est très réaliste, oui ! J'ai même été un peu en-deçà de la réalité. »

Que s'est-il passé dans sa tête ?

« C'est ce que je vais raconter dans l'Arabe du futur. Je crois que comme mon père était le seul à avoir fait des études et à avoir voyagé, il avait une culpabilité énorme vis-à-vis de ses proches. Il se demandait pourquoi lui avait eu cette chance et finalement qui il était pour refuser d'être comme eux. C'est ce conflit paradoxal entre la tradition et la modernité qui était au cœur de sa psychologie. »

Il sentait investi d'une mission. 

« Il voulait devenir un homme important dans son pays. Comme il venait d'un milieu défavorisé et qu'il avait réussi à avoir des diplômes, il identifiait son destin à la plupart des leaders du monde arabe de cette époque, qui étaient des types de basse condition et qui par leur volonté avaient réussi à atteindre les plus hautes cimes du pouvoir. »

On vous découvre élève modèle. Est-ce vraiment par envie d'apprendre ou par peur de l'instituteur et de son éducation assez musclée?

«  C'était vraiment de la soumission à l'autorité. À l'école en Syrie, je m'étais rendu compte qu'on pouvait frapper sur les mains quand on n'obéissait pas au professeur. Alors, cela me semblait tellement logique de lui obéir (rires). Je pensais qu'on n'avait pas le pouvoir de se rebeller ni d'inverser la situation. J'essayais tout simplement d'être un bon élève pour ne pas me faire punir. »