Dr Denis Mukwege : «On ne peut pas avoir une globalisation économique sans une globalisation des Droits de l'Homme»

Le docteur Denis Mukwege s'est fait connaître par sa lutte contre les violences sexuelles dans l'Est du Congo. Ces dernières années, il a reçu de nombreux prix pour son travail, et certains réclament pour lui le prix Nobel de la Paix. Malgré le travail effectué, il reste inquiet. Notamment à cause de la crise politique actuelle, qui pourrait générer de nouvelles violences.
par
Camille
Temps de lecture 3 min.

Comment évolue la situation au Congo ?

« Les choses ne vont pas dans le bon sens. L'élection présidentielle, qui devait se tenir en décembre, a été reportée à 2018 (du fait d'un accord entre la majorité et une partie de l'opposition, ndlr). Il n'est pas normal qu'un accord politique remplace la constitution. Cela me fait redouter une nouvelle crise. Et lorsqu'il y à une crise, ce sont les femmes et les enfants qui trinquent. C'est d'autant plus dommage que le travail contre les violences sexuelles donne des résultats. »

Voyez-vous tout de même quelques signes d'espoir ?

« Je suis un éternel optimiste. Je veux donc croire que le bon sens finira par l'emporter, et que nous éviterons un nouveau cycle de violences. »

Vous restez optimiste, malgré une situation sur le terrain compliquée ?

« Je traite les conséquences des violences sexuelles depuis 1999. Je suis gynécologue, j'ai choisi ce travail pour donner la vie. C'est l'évolution de la situation dans l'est du Congo qui m'a obligé à traiter des choses bien plus douloureuses que les naissances. Comme médecin, je m'attaque aux conséquences des viols, des mutilations… Je soigne physiquement et moralement les victimes. Mais il est essentiel de s'attaquer aux causes profondes de la violence qui ravage la région. »

Comment ?

« Le pays est victime de sa richesse. Nous devons bâtir un système où cette richesse bénéficie aux Congolais, pas où elle ne profite qu'à des groupes armés qui exploitent illégalement le sous-sol. »

Certains aimeraient vous voir vous engager en politique pour contribuer à un tel système. Pour le moment, vous écartez cette idée…

« Je ne veux pas le pouvoir, mais simplement la liberté, la paix, le développement. Mon seul objectif est de redonner sa dignité au peuple congolais, pas d'exercer le pouvoir. »

Vous avez néanmoins accepté d'être le porte-voix d'un mouvement citoyen, Filimbi.

« C'est un mouvement de jeunes qui veulent changer le pays. Ce sont des gens éduqués, ils sont désespérés par la situation actuelle. Ils ont besoin d'accompagnement dans leur combat. Comme moi, ils ne veulent pas le pouvoir, mais changer la vie des Congolais. Cela veut dire contribuer au développement durable du pays, s'assurer que tout le monde mange à sa fin, puisse scolariser ses enfants… Ce sont des valeurs que je partage. »

Comment la communauté internationale peut-elle contribuer à améliorer les choses ?

« On ne peut pas avoir une globalisation économique sans une globalisation des Droits de l'Homme. Sans valeurs, la globalisation a des conséquences terribles. Il faut notamment mieux encadrer le commerce des minerais précieux. L'Union européenne a déjà fait un pas, avec une législation qui impose un devoir de diligences aux sociétés qui achètent ces minerais. Mais il faut aller plus loin, être plus exigeant. »

Denis Mukwege publie cette semaine une autobiographie, « Plaidoyer pour la vie », aux Editions l'Archipel