Jean Dujardin: «Je veux combler le vide et m'amuser» à propos de «Brice de Nice 3 »

C'est dans un salon d'un grand hôtel bruxellois que nous rencontrons le charmant Jean Dujardin pour la sortie de «Brice de Nice 3» -le numéro 2 en réalité mais «Brice 3 a cassé le 2». À 44 ans, l'acteur français se ferait-il une petite crise artistique après son oscarisation? Ou avait-il tout simplement envie de s'éclater une nouvelle fois avec sa bande de copains?
par
Maite
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Pourquoi vous remettre dans la peau de Brice après près de onze ans?

«Il y a encore deux ans, il n'était pas question de le reprendre. C'est venu assez rapidement. On a mangé un midi avec James (James Huth, le réalisateur, NDLR.). Je ne devais pas être super bien dans ma tête. Et vu que c'est un ami, il m'a dit que je devenais con… et que si je deviens con, c'est le bon moment pour reprendre Brice (sourires). De là, nous nous sommes amusés. Mais c'était assez informel. Cela devient vraiment formel la veille, quand il faut remettre la perruque, le t-shirt. Là tu te demandes: ‘Est-ce que je ne suis pas un peu con de faire ça alors que j'ai 43 ans?'. Mais ces questions se dissipent très rapidement. Il y a juste une envie de ne pas se prendre au sérieux. Il y a un truc psychiatrique avec Brice. Je ne sais pas le faire si je n'ai pas le costume. Je n'ai pas du tout la même nonchalance. Quand j'endosse le costume, j'arrive à déséclairer mon regard, je ne pense plus, je deviens un âne et je peux dire tout ce que je veux. Comme si tout ça était un peu trop sérieux. Quand vous avez un Oscar, vous devez rester à une certaine place et devenir le genre ‘nœud de papillon'. Alors qu'en fait, on veut juste mettre les doigts dans la prise et dire que non en fait, nous avons envie de faire autre chose. C'est un moyen de dire définitivement que je serai toujours en voyage.»

Et puis, n'est-ce pas aussi une bande de potes qui se retrouvent?

«En effet, ‘Brice', c'est vraiment quelque chose à part. Quand je propose le scénario à Clovis, s'il me répond non, alors on ne part pas là-dessus. C'est un truc d'amis, qui se fait avec des amis et qui parle d'amitié.»

Cela se passe de la même manière pour les autres projets?

«On aimerait que ça soit toujours comme ça. Mais on n'est pas des scouts… Un projet est choisi en fonction d'un scénario, d'une histoire et d'une rencontre avec un metteur en scène.»

J'ai lu que le deuxième volet de Brice de Nice est parti d'un délire que vous avez eu avec James Huth sur un poisson. Un délire que l'on retrouve dans le film.

«James s'amuse avec des messages un peu subliminaux. Il fait un montage avec un petit poisson rouge qui a une mèche et une dent et il me dit: ‘Je te présente Fabrice de Nice'. Je lui réponds: ‘C'est le fish de Brice'. On se marre et finalement, cela devient quelque chose de plus concret. Il m'avait fait la même chose sur le premier ‘Brice' avec les pieds de Clovis. Je lui ai demandé comment il faisait pour mettre des tongs et ça nous a fait rire. C'est de la poésie par l'absurde. James va loin dans l'absurde.»

 

 

Vous avez coécrit le scénario. Dans votre vie de tous les jours, êtes-vous capable d'avoir le même genre de blagues que Brice?

«Non, j'en suis incapable. Moi, ce qui me fait le plus rire, ce sont les caméras cachées de François Damiens. Il me fait vraiment rire car c'est parfois très dangereux ce qu'il fait. Il est à la limite du cassage de gueule. Je ne sais pas comment on peut faire des choses pareilles. Moi, je suis obligé de me planquer derrière un personnage. Je suis incapable dans la vie de faire du mal à quelqu'un.»

Y avait-il une demande de la part des fans de retrouver Brice?

«Pas du tout. Et je ne pense pas qu'il y ait de fans. Il y a des fans d'OSS mais pas de Brice. C'est un peu comme Dirty Dancing ou Légende d'automne avec Brad Pitt. Brice, c'est un peu ça. Ce n'est pas chic de dire ‘j'aime Brice de Nice'. En France, en tout cas. Personnellement, j'avais envie de me marrer.»

Dans le film, Brice découvre le ‘Brice paradise', un parc qui se crée autour du personnage. Peut-on faire un parallèle avec vous? Depuis votre Oscar, il y a tout un phénomène de starification qui se crée autour de vous.

«Il y a un peu de ça. Ce qu'on imagine de vous… le 2.0. On confond parfois l'image de l'acteur et ses personnages. On se dit que si vous faites des rôles de prétentieux ou de con, c'est que vous devez l'être aussi. Il y a une superposition. Il y a de ça et puis, il y a aussi cette pensée unique de fête obligatoire quand tu es acteur: le côté Nikki Beach à midi, tu fais la bringue avec de la vodka Redbull et on doit tous danser sur le même tempo, être pareil, penser de la même façon. Ça me fatigue.»

Qu'est-ce qui vous fatigue? Les obligations qui tournent autour du métier d'acteur?

«Oui, ce qu'on doit être, ce qu'on doit penser, manger, dire… Tout le monde se ressemble! Et c'est chiant (sourire)! En fait, on s'emmerde! Je ne suis pas du tout un révolté, un rebelle. Mais je m'ennuie vite. Je me balade et je vais voir ailleurs. Ce parc d'attractions ‘Brice Paradice', c'est complètement ancré dans cette époque de téléréalité où on ne montre que des crétins qui ne vivent que sur la délation, qui ne sont que sur de la consommation rapide et très éphémère, sur l'humiliation. On parle beaucoup d'humiliation dans ‘Brice'. Le ‘casse contre casse' a été créé pour cela. Quand une personne est humiliée, ça peut me foutre vraiment en colère. Je déteste l'humiliation.»

Dans ‘Brice', il y a toute une réflexion sur le fait de casser quelqu'un.

«Il y a une phrase que j'aime beaucoup dans ‘Brice 3'. Quand une bouteille est balancée sur une femme, il dit: ‘Mais c'est pas ça casser'. Tout le monde ne l'a pas compris d'ailleurs. C'est pour ça que parfois vous vous sentez dépossédé de ce que vous avez créé. Quand Brice dit ‘J't'ai cassé', il casse rien du tout, à part lui-même. Il est lui-même ridicule, et c'est ça que je vise. C'est pour cela qu'il est touchant et que je peux réparer beaucoup de choses avec ce personnage. Il peut dire des saloperies parce qu'il est ridicule.»

Au début de l'interview, vous nous expliquiez que vous avez fait ce film pour vous marrer. Vous allez faire quoi alors maintenant?

«Sur le prochain ‘Brice', il surfera définitivement… (sur le ton de la rigolade) Alors, je vais apprendre à surfer. J'ai dix ans pour y arriver. Et… grâce aux vagues, je passerai à une autre époque. Remonter dans le temps avec Brice, ça peut être marrant! (rires).»

Dans une scène de ‘Brice', on vous demande s'il n'est pas temps de passer à autre chose. Cette question, on vous l'a sûrement déjà posée.

«C'est exactement pour cela que j'ai fait cette scène. J'anticipe. Moi je veux bien passer à autre chose. Mais passer à quoi? C'est quoi autre chose? C'est me foutre dans le cinéma d'auteur ou devenir un grand acteur? Je ne sais pas ce que c'est un grand acteur. Je pense qu'on est un grand acteur quand on a 85 ans. Ce que je veux surtout, c'est combler le vide, m'amuser et prendre du plaisir. J'ai 44 ans, je vais peut-être vivre jusqu'à 80 ans, je ne vais certainement pas m'ennuyer pour plaire à des vieilles chapelles ou des vieux salons français qui vont me dire ce qu'est le cinéma français.»

Depuis que vous avez reçu un Oscar, vous propose-t-on des projets intéressants?

«Oui, on me propose des projets intéressants et en même temps, pas tant que ça. Depuis l'Oscar, on se dit que je suis trop cher, que je suis aux États-Unis ou que je ne voudrai pas. Mais contactez-moi! Alors en faisant 'Brice', c'est une façon de leur dire: vous voyez, les choses n'ont pas forcément changé. Et le plaisir est intact.»

La façon dont vous en parlez, on a l'impression que cet Oscar est un cadeau empoisonné.

«Oui, dans mon cas, ça l'est! Pour certains, comme pour Marion Cotillard, non ça ne l'est pas. Pour le coup, elle a transformé l'essai, elle a joué avec les grands. Et elle a raison de le faire.»

Une carrière à Hollywood vous intéresse-t-elle?

«Non, ça ne m'intéressait pas. Ce qui m'intéressait, c'était qu'on me laisse là où j'étais. Naïvement, j'ai pensé qu'on allait me foutre la paix. Qu'on allait me dire que je pouvais rentrer tranquillement chez moi. Mais quand je suis rentré chez moi, on m'a demandé ‘Mais pourquoi tu n'es pas avec eux?' Je n'ai pas compris car on m'avait dit que j'étais bien à la maison. Qu'on critique mes films, je suis d'accord. Qu'on critique mes choix, c'est autre chose. Je ne veux pas qu'on me donne des leçons. Je veux tenter des choses, dans mon pays, dans ma langue.»

En quelques lignes

«Brice est de retour. Le monde a changé, mais pas lui. Quand son meilleur ami, Marius, l'appelle à l'aide, il part dans une grande aventure à l'autre bout du monde… Les voyages forment la «jaunesse» mais restera-t-il le roi de la casse?», voilà le synopsis tel qu'il nous est présenté. Et au niveau scénaristique, il n'y a pas grand chose à en dire de plus.

Le scénario part dans tous les sens, il n'a ni queue ni tête, en témoignent les scènes de Brice en vieillard contant ses expériences à des mômes -ce qui est, de notre point de vue, avec la digression de Brice en dessin animé, l'une des très mauvaises idées du scénario.

Mais quand on veut voir un film comme «Brice de Nice» et passer un bon moment, il faut laisser ses préjugés à l'entrée du cinéma. Car il faut avouer que nous avons ri à certaines blagues, notamment celles du ‘Fabrice, le fish de Brice'…

Et rien que pour voir cet acteur oscarisé endosser à nouveau sa perruque blonde et son t-shirt jaune, le film en vaut la chandelle. C'est une manière pour Jean Dujardin de remettre à leur place les critiques et de montrer que même s'il est oscarisé, ce qu'il veut avant tout, c'est qu'on lui propose des projets qui l'intéressent et qui l'amusent. Il l'affirme haut et fort. Alors, à bon entendeur… (mh)

3/5