Je fais des fautes d'orthographe, est-ce grave docteur?

Qui ne s'est pas fait remonter les bretelles pour une faute d'orthographe ? Qui n'a pas entendu une remarque sur son accent ? La langue unit autant qu'elle discrimine. Cela s'appelle la glottophobie.
par
Nicolas
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La Convivialité - Ph. Véronique Vercheval

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron étaient professeurs de français dans une autre vie. Pendant leur brève carrière à l'école, ils se sont contraints à sanctionner la faute d'orthographe. Pourtant, leur formation leur avait appris à porter un regard critique sur la norme. C'est celui-ci qu'ils adoptent sur scène dans leur spectacle La Convivialité. Peut-on en toute conscience sanctionner durement toute personne qui contreviendrait à son accord du participe passé? Une mauvaise orthographe doit-elle éclipser une personne compétente d'un job qui lui correspond ?

Pour le professeur de sociolinguistique Philippe Blanchet (Université de Rennes 2), il ne fait aucun doute qu'il existe de graves discriminations linguistiques, pourtant interdites dans les textes internationaux, à l'écrit comme à l'oral. Il nomme ce phénomène la glottophobie, qu'il dénonce dans Discriminations : combattre la glottophobie (éd. Textuel). «On m'a communiqué l'épreuve d'accès à une formation professionnelle pour devenir un cuisinier de collectivité. Elle comportait une épreuve de français extrêmement difficile que moi-même je n'arrivais pas à réaliser. Je suis pourtant habitué à manipuler la langue française», nous raconte notre interlocuteur. «Les gens qui ne réussissent pas n'ont donc pas accès à la formation et aux possibilités d'emploi qui en découlent pour un motif prétendument linguistique qui n'a aucune pertinence.»

Une récente recherche française a montré qu'il s'agissait de la deuxième discrimination lors d'entretiens d'embauche, nous apprend Philippe Blanchet qui dénonce un problème démocratique.

Mis de côté

« Puisqu'on ne tient pas compte de gens dont la parole est disqualifiée, ces personnes n'osent plus prendre la parole.» Et il n'y a pas que l'orthographe, puisque sont cibles de la vindicte langagière les accents, les parlers locaux ou minoritaires. «Le projet de départ d'homogénéiser une population par la langue n'est pas réalisable», certifie l'universitaire de son accent provençal chantant. «Les gens parlent la langue de manière différente en fonction de leur histoire personnelle, de leurs milieux sociaux et de leur vie locale.»

Pour expliquer le phénomène, Philippe Blanchet évoque l'Histoire, des volontés de hiérarchie sociale mais aussi une croyance. «Cela vient du mythe très présent dans le monde francophone que pour se comprendre, il faut parler une langue commune. Or, quand on observe le fonctionnement des interactions dans la vie ordinaire, on se rend compte que la diversité linguistique est toujours présente et que ça ne crée pas d'obstacle.» Le monde anglophone serait ainsi plus coulant. «On a sacralisé la langue française et l'orthographe en est le sacré-cœur.»

Il convient donc de la décoincer. La question mérite d'être posée à l'heure où nos populations sont de plus en plus métissées. La langue est une matière vivante et Philippe Blanchet entend la défendre dans toute sa diversité.

«Il faut éduquer les gens à l'hospitalité langagière»

Si l'on suit Philippe Blanchet, faire des fautes, ce n'est pas grave ? « Je n'irai pas jusque-là», concède le linguiste. «Il y a des espaces où la contrainte orthographique est très importante. Il faut les garder. Mais il existe aussi des espaces de liberté comme quand il faut créer une nouvelle graphie pour des contraintes technologiques, plus courte pour les SMS, plus rapide pour les chats en ligne. Écrire autrement est ici fonctionnel.»

Le spécialiste est favorable à une réforme continue de l'orthographe du français, «particulièrement complexe et absurde, qui a été élaborée volontairement de cette façon pour la rendre difficile au petit peuple».

Mais il faut aussi faire preuve de plus de tolérance. «Il faut éduquer les gens à l'hospitalité langagière, c'est-à-dire ne pas juger les gens sur leur manière de parler mais veiller plutôt à les accueillir. Intéressons-nous à ce qu'ils disent avant de regarder l'habillage graphique de leur texte.» Car il y a une menace sur le plan social : en jugeant uniquement sur la langue, «on empêche des relations entre les gens». Dans le monde du travail, quand la maîtrise normative de la langue n'est pas un élément constitutif du poste à pourvoir, doit-on continuer à tester les connaissances linguistiques du demandeur d'emploi? La question est posée.

La Convivialité se joue jusqu'au 15 octobre au Théâtre National à Bruxelles et du 23 au 25 avril 2017 au Théâtre de Liège. Le professeur Philippe Blanchet interviendra après la représentation de ce jeudi 6 octobre.

Nicolas Naizy