Tim Burton : « J'ai voulu faire un conte de fées d'horreur »

Jean Cocteau disait : « Ce qu'on te reproche, cultive-le : c'est toi ». À force d'entendre toute son enfance qu'il était étrange, Tim Burton a fini par en faire un atout. D'« Edward aux Mains d'Argent » en passant par ‘ « Beetlejuice » ou « Big Fish », ses films étranges lui ont permis de devenir un des cinéastes les plus reconnus de sa génération. Et après quelques déceptions (« Alice », « Charlie » et une overdose de Johnny Depp), son nouveau film est là pour le confirmer. Bienvenue dans la maison de Miss Peregrine et de ses enfants pas comme les autres…
par
Nicolas
Temps de lecture 6 min.

Il paraît que Ransom Riggs, l'auteur de «Miss Peregrine», avait pensé à vous pour adapter son livre avant même que le projet ne démarre...

Tim Burton : «Je ne savais pas (rires) ! Mais en tout cas j'ai aimé son livre immédiatement, parce que dès que je l'ai ouvert j'ai vu qu'il y avait beaucoup de vieilles photos. Je collectionne aussi les vieilles photos -pas autant que lui bien sûr !- et je pense que j'aime ça pour les mêmes raisons que lui, et que c'est pour ça qu'il y en a autant dans le livre : une photo vous raconte une histoire, un début d'histoire. Et c'est votre imagination qui complète ce qui manque. Donc dès que j'ai vu le livre j'ai su qu'il allait me plaire, à cause de la façon dont il l'avait construit.»

Avez-vous eu, comme Jacob le héros du film, un grand-père ou un parent avec qui vous étiez particulièrement proche ?

«Oui, ma grand-mère. J'ai vécu avec elle quand j'étais petit, et c'était quelqu'un de très protecteur et de rassurant : elle m'a nourri, logé, et elle m'a laissé être qui j'étais, et ce à une période vraiment importante de ma vie.»

«Miss Peregrine» parle de l'importance d'être particulier, et de pouvoir transformer sa différence en richesse... C'est un message important pour vous? Un message que vous voudriez faire passer aux enfants ‘particuliers' de ce monde ?

«Oui. Enfant, je ne me suis jamais trouvé bizarre, mais comme j'aimais les films de monstres et jouer dans le cimetière du coin, on m'avait catalogué comme tel. Et ça m'a longtemps dérangé. Jusqu'au moment où j'ai réalisé que je pouvais, effectivement, tirer profit de cette différence. Donc aujourd'hui je fais des films avec des monstres dedans, et ça a m'a permis de rencontrer des gens que j'admire, comme Vincent Price ou Christopher Lee. Donc ce qui a commencé comme une chose négative est devenu quelque chose de très positif pour moi. À un moment ou l'autre de notre vie, ça nous arrive à tous de nous sentir particulier. Et ce que je voudrais dire aux enfants avec ce film, c'est que c'est OK. Même si c'est parfois difficile, c'est important de ne pas oublier que c'est OK d'être qui tu es. »

Avez-vous des points communs avec les enfants particuliers du film ?

« Oui, dans le sens où ces enfants, au fond, sont des enfants comme les autres, qui sont perçus comme différents par la société. Mais au fond ces afflictions, ce sont des métaphores. Comme le gamin qui fait des rêves étranges projetés sur le mur de la maison : les films sont aussi comme des rêves étranges. Je pense que le processus de faire des films est proche de celui des rêves. »

Si vous pouviez choisir une particularité parmi celle des enfants du film, préféreriez-vous pouvoir déclencher des incendies ou voir les monstres invisibles ?

«Les monstres : je les vois déjà (rires). Vous n'imaginez pas à quoi vous ressemblez dans ma tête!»

Parlez-nous du choix d'Eva Green pour le rôle de Miss Peregrine…

«Eh bien, Miss Peregrine est une sorte de ‘Mary Poppins' étrange (‘Scary Poppins', ndlr). Elle a un côté sauvage, parce qu'en plus elle peut se transformer en oiseau! Et puis j'aime les personnages féminins qui ne sont pas trop dans la démonstration de leurs capacités: elles sont qui elles sont. Elles sont fortes, mais pas grâce à un homme, ou une femme: c'est juste leur façon d'être. C'est pour ça que j'ai pensé qu'Eva serait parfaite pour le rôle: elle a un peu cet air de maîtresse d'école ... Je n'en ai jamais eu de comme ça, mais j'aurais bien aimé (rires) ! Eva est géniale, elle est capable à la fois d'humour et de drame. C'est pour ça que j'adore travailler avec elle. »

D'ailleurs la maison de Miss Peregrine est… en Belgique ! Elle se trouve à Torenhof près d'Anvers, où une partie du film a été tournée : pouvez-vous nous en parler?

«Oui! Au début j'avais fait des recherches en Angleterre, parce que c'est là que je vis et que je tourne la plupart de mes films. Mais je ne trouvais pas le bon endroit pour cette maison, donc on a été d'abord en France, puis en Belgique... J'avais besoin d'un bâtiment qui ressemble vraiment à une maison, pas à une institution ou un hôpital. Je voulais quelque chose d'un peu excentrique... Et dès que j'ai vu cette maison, le titre du livre est apparu dans ma tête. J'ai directement su que c'était la bonne. Il y avait pas mal de tiques, cela dit, mais ça a été (rires) ! Et une chaleur insoutenable, je crois qu'il y avait la canicule en Belgique à ce moment-là... »

Avant le tournage la maison appartenait à un fabricant de biscuits, ce qui lui donne aussi un petit côté 'burtonien' !

«Ah bon? Je ne savais pas! A l'époque du tournage, elle était en vente, et d'ailleurs j'ai failli l'acheter! Mais finalement le gars qui voulait y vivre a surenchéri (rires). »

À propos des monstres de ce film, quelle a été l'inspiration visuelle ?

« On est partis de la description dans le livre. Et puis on est dans le genre du conte de fées, du conte populaire, donc je voulais que ça ressemble au cauchemar d'un enfant. C'est pour ça que leur visage est sans expression, et qu'ils ont encore des vêtements… j'ai voulu faire un conte de fées d'horreur!»

Qu'est-ce qui vous fait vraiment peur, au cinéma ou dans la vie ?

«Je dirais que les choses 'effrayantes' dans le sens traditionnel du terme ne me font pas vraiment peur, mais que je suis plutôt effrayé par... la ‘vie normale' (rires) ! »

Faire des films, c'est votre façon d'affronter vos démons ?

«Oh oui, absolument. J'ai toujours pensé que faire des films était une forme très chère de psychanalyse (rires)!»

Quels sont vos prochains projets? La suite de «Beetlejuice» verra-t-elle le jour ?

« Aucune idée. Je ne sais jamais dire, surtout quand je sors d'un tournage… Deux projets de films que j'avais ont été annulés, et c'est quelque chose assez traumatisant. Donc j'ai appris à être prudent avant d'annoncer les choses. Quand je serai sur le tournage, je vous dirai (rires)!»

EN QUELQUES LIGNES

Il était une fois un garçon nommé Jacob. Petit, Jacob adorait écouter les histoires son grand-père Abraham, à base d'orphelinat, d'enfants particuliers et de monstres invisibles. Maintenant qu'il est grand, Jacob ne croit plus trop à ces contes bizarres. Mais quand Abraham meurt dans des conditions étranges, et que Jacob découvre dans ses affaires une lettre où une ‘Miss Peregrine' demande son aide, le passé ressurgit. Jacob se rend alors en Angleterre pour retrouver cette Miss Peregrine et son orphelinat… Sortez le champagne : Tim Burton est (enfin) de retour ! Moitié conte de fées, moitié film d'horreur, cette adaptation du best-seller pour enfants de Ransom Riggs permet au réalisateur de renouer avec ce qu'il sait faire de mieux : des personnages hauts en couleurs, qui font rire ou peur, et qui rappellent l'importance d'être soi - même si ça veut dire être différent. Un sentiment que Burton connaît bien, lui qui a aussi été taxé de bizarre étant petit. On ne sait pas si c'est le travail d'animation minutieux, l'humour malicieux, les bouilles des petits acteurs, le charme d'Eva Green, l'absence de Johnny Depp… ou tout ça à la fois, mais le résultat est là : « Miss Peregrine » est un film particulièrement réussi. (Même si la 3D, comme d'habitude, n'apporte pas grand-chose).

3/5

Elli Mastorou