Le «Live Magazine», quand les journalistes révèlent l'envers des médias dans un journal... oral et éphémère

Les journalistes défilent sur scène, un par un, et racontent, le temps d'une soirée, ce qu'ils n'ont jamais ni écrit ni filmé : un reportage avorté pour protéger une femme, la photo qui a gâché une vie, la tristesse d'une graphiste qui dessine des cartes tachées de rouge.
par
Laura
Temps de lecture 3 min.

Ce spectacle sans équivalent s'appelle le «Live Magazine». Inspiré d'un format américain, il donne depuis deux ans la parole à des journalistes de l'écrit, du son, de la photo, de la vidéo et du documentaire, qui dévoilent l'envers de leur métier, les coulisses de leurs rencontres.

Aucune captation vidéo pour en conserver la trace, aucune viralité sur internet, aucun replay possible : le Live Magazine tourne le dos aux écrans pour redonner toute sa force au récit oral, au «je» subjectif. Le spectateur en sort la tête pleine d'histoires fascinantes, souvent gravées dans sa mémoire.

Révélations personnelles

Lundi soir, dans le cadre du «Monde Festival» organisé par Le Monde, douze collaborateurs du journal se sont succédé sur la scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin, devant plus de 1.000 personnes - dont beaucoup de journalistes, mais aussi des classes de lycées.

Posément, ils ont parlé dix minutes chacun devant un grand écran où étaient projetés des photos, des cartes, des vidéos, des textes, des dessins ou des mails. Un équilibre entre récits sérieux ou drôles, en images ou en texte, en chanson ou en parole. De leurs phrases émergeaient leurs faiblesses, leurs hésitations, leurs déceptions, parfois leur colère ou leur peur, bien loin d'un journal de référence qui se doit généralement d'être impersonnel.

Une tendance américaine

Depuis 2014, la créatrice de ce format en France, Florence Martin-Kessler, réalisatrice de documentaires, a organisé une dizaine de Live Magazine, 8 à Paris dans des salles de plus en plus grandes, et 2 à Bruxelles. "Je me suis inspirée du Pop Up Magazine, créé aux Etats-Unis en 2009 par Douglas McGray", raconte-t-elle. Elle découvre avec enthousiasme ce «journal vivant» en 2013, lors d'une conférence à Harvard, et décide de le lancer en France. Elle réunit une petite équipe, contacte des sponsors, et le bouche-à-oreille remplit les salles. Aux Etats-Unis, le prochain Pop Up Magazine est programmé dans une salle de 8.500 personnes.

Histoires improbables

Pourquoi refuser toute captation vidéo ? "Certains ne raconteraient pas leur histoire si elle terminait sur internet. Je voulais un récit ici et maintenant. Et puis c'est quelque chose de partagé, pas une expérience solitaire devant son téléphone. Comme quand tout le monde lisait le même édito", répond-elle.

Lundi, Chloé Aeberhardt a raconté comment elle a traqué une espionne russe, pour terminer dans un appartement moscovite surchauffé face à une étrange ménagère impassible. Philippe Ridet, journaliste politique, a révélé la genèse d'une photo de Sarkozy les mains jointes, qui l'a poursuivi toute sa carrière. Le dessinateur Sergueï, au piano, a chanté avec émotion le blues du dessinateur devant les horreurs du monde et son confrère Plantu a dévoilé quelques dessins impubliables. Maxime Vaudano, qui a épluché pendant des mois les «Panama Papers», a relaté son improbable correspondance avec Michel Reybier, créateur de Justin Bridou.

Le regard le plus décalé était peut-être celui du photographe Michaël Zumstein, passionné de foot, troublé de voir d'innombrables ados africains arborer avec fierté, comme lui-même dans son enfance, des maillots de Messi, Zidane et autres héros du ballon rond. Y compris des enfants soldats. "J'avais des visions", se souvient-il. "J'ai vu Lionel Messi. Il avait huit ans et ramassait avec son âne les ordures sur un marché au Niger. Quand Thierry Henry ne travaillait pas au marché central comme boucher, il venait souvent aider au champ son ami Iniesta, le milieu de terrain du FC Barcelone". "Puis c'est devenu cauchemardesque. En Centrafique, Fernando Torres, l'attaquant espagnol avait pris la tête d'un groupe armé. Ronaldihno amenait à l'hôpital son ami mort dans ses bras. Partout sur le continent, les jeunes hommes portent sur leur dos un numéro et un nom de rêve. Un double imaginaire. Une autre vie que la leur".