Rentrée littéraire : Amélie Nothomb : Un amour qui sublime

Comme à chaque rentrée littéraire, notre compatriote Amélie Nothomb sort son roman de l'année. Sa version du conte de Charles Perrault ‘Riquet à la houppe' nous réconcilie avec l'écrivaine. On y retrouve son humour, sa plume élégante, son rythme. Enfin!, me direz-vous!
par
Maite
Temps de lecture 5 min.

Ce n'est pas la première fois que vous reprenez un conte de Charles Perrault. Qu'est-ce qui vous plaît en cet homme de lettres?

«J'aime énormément l'élégance de ses contes. Ce sont des contes au sens propre, c'est-à-dire des récits éternels qui abordent des questions d'une extrême cruauté mais elles sont traitées avec infiniment d'élégance comme si ce n'était pas grave. La morale de ‘Riquet à la houppe' est que si graves sont les malédictions -l'un est beaucoup trop laid et l'autre est beaucoup trop belle-, on peut s'en sortir pourvu qu'on a de l'esprit. Avec un peu d'esprit, on peut sortir de tous les problèmes.»

Être trop beau est donc tout aussi horrible qu'être trop laid?

«Tout porte à le penser. Regardez le destin de Greta Garbo. Elle était une femme très belle mais elle a eu un destin abominable, solitaire avec très peu d'amour dans sa vie. Quand on regarde le destin des très belles femmes, leur vie amoureuse est un désert. Elles font peur. Il y a une certaine ressemblance entre l'exclusion vécue par les très belles personnes et celle vécue par les personnes repoussantes.»

Dans ce roman, comme dans la plupart de ceux que vous écrivez, amour et cruauté se côtoient parfaitement.

«Comme dans la vie. Nous l'avons tous vécu. Nous avons tous connu l'épouvantable cruauté des cours de récréation, et c'est pourtant là que commencent les premières ébauches d'amour à l'adolescence qui sont vécues avec tant d'espoir par les jeunes filles et qui se soldent la plupart du temps en cruauté. Alors oui, amour et cruauté se côtoient. C'est pour ça que j'aime tant les contes car cela nous est montré avec beaucoup de franchise. Ils ne nous disent pas que la vie va être facile. Ils nous préviennent d'entrée de jeu que la vie va être terrible. Surtout quand il est question d'amour.»

Mais dans beaucoup de contes, il y a un happy end.

«Car après tout c'est possible. Il y a une grande coquetterie en littérature moderne pour adulte qui vise à faire en sorte que quand l'écrivain fait vivre une histoire d'amour à ses personnages, il faut que cela se termine terriblement mal. L'amour est admissible pourvu qu'il donne lieu à une tragédie. J'ai voulu contrecarrer cette loi. L'amour tourne parfois bien.»

Vous décrivez d'une certaine manière votre conception de l'amour dans ce roman. Pour vous, l'amour fait resplendir, embellit.

«C'est une morale connue mais que je souhaite à tout le monde de vivre. Quiconque a connu le grand amour sait qu'en effet, tout devient beau, même si nous ne sommes pas terribles. C'est une question à la portée de chacun d'entre nous. La bonne nouvelle, c'est que ça peut arriver. On ne sait pas quand mais c'est possible.»

Dans tous vos romans, vous trouvez même aux pires de vos personnages quelque chose de beau, qui les sublime.

«Quand j'écris, je ne juge pas les gens. Je pars du principe que l'humanité existe dans son entièreté à l'intérieur de moi. Je peux explorer tout le monde, même les monstres. Et comme ils sont tous en moi, je dois trouver une manière de les aimer. Cela fait partie de mon projet littéraire: donner la parole au mal.»

Pourriez-vous reprendre un conte comme ‘La Belle et la Bête'?

«Je préfère ‘Riquet à la houppe' car dans ‘La Belle et la Bête', à la fin du conte, quand la princesse embrasse la Bête, celle-ci se transforme en un beau prince. Elle est flouée car elle est tombée amoureuse d'un monstre et non d'un beau prince. Dans ‘Riquet à la houppe', le personnage reste tout aussi moche. C'est le regard de la jeune fille qui est transfiguré. Je trouve cela beaucoup plus juste.»

Pour vous, la vraie intelligence est de comprendre que chaque personne a un langage spécifique et qu'il est possible de l'apprendre.

«C'est ce que j'appelle ‘le sens de l'autre'. Cela me paraît beaucoup plus important que l'intelligence telle qu'on se la représente aujourd'hui, à travers notamment le quotient intellectuel. Nous avons tous connu des gens avec un quotient intellectuel élevé et pourtant, ils ne sont pas forcément très intéressants. Par contre, les gens qui ont un sens de l'autre très élevé sont formidables. Ils sont capables d'appréhender chaque nouvelle personne comme un nouveau langage et d'entrer en contact avec elle de façon plus profonde. C'est cette intelligence qui m'intéresse.»

En quelques lignes

Quand Amélie Nothomb revisite un conte de Charles Perrault, cela donne un roman décapant et contemporain. Après «La Barbe bleue», l'écrivaine belge s'attaque cette fois à «Riquet à la houppe», un conte mettant en scène un personnage répugnant à l'intelligence exceptionnelle et une jeune fille superbe mais… bête. Durant leur enfance, l'un et l'autre sont rejetés des autres enfants. Mais ils ont pourtant tous deux une faculté à s'adapter qui les sauvera des mesquineries. Déodat a été pourvu d'une très grande intelligence lui permettant de comprendre la répulsion qu'il engendre auprès des autres enfants. Trémière, quant à elle, s'enferme dans le silence, elle est contemplative et a l'intelligence de voir ce que les autres ne voient pas. Les deux personnages évoluent en parallèle avant de se retrouver. Cette adaptation du conte de l'écrivain du 17e siècle nous réconcilie avec notre compatriote. Grâce à son humour piquant et à sa plume juste, elle arrive à sublimer ses personnages, à ancrer un vieux conte dans notre société actuelle, à aborder des thèmes qui nous touchent tous. Voilà un ‘Amélie Nothomb' qu'on lit avec plaisir.

«Riquet à la houppe», d'Amélie Nothomb, éditions Albin Michel, 198 pages, 16,90€ 3/5

 

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