Les ‘micro utopies' de Matali Crasset

En créant des espaces et des objets modulables et multifonctionnels, Matali Crasset repositionne l'humain et la fonction au cœur du design. Celle qui a travaillé des années aux côtés de Philippe Starck et qui se retrouve être maintenant elle-même une des têtes de liste du design français actuel, adore par dessus tout les couleurs franches et s'affranchir des codes.
par
Pierre
Temps de lecture 4 min.

Comment résumer votre travail ?

«J'essaye de trouver de nouvelles logiques. D'avoir un regard global sur les projets dans le but de trouver de nouvelles façons de faire. L'intention est de faire un pas à côté pour voir les choses sous un angle nouveau.»

Est-on forcément philosophe quand on est designer ?

«D'une certaine manière. Mais moi je me considère plus comme anthropologue que philosophe. Mon ancrage c'est l'humain. Et l'humain dans toute sa diversité. Au contraire du siècle dernier où l'on avait plutôt tendance à standardiser. Tous mes projets, qu'ils soient petits ou importants, offrent d'autres possibles, de ‘micro utopies' qui montrent que l'on peut articuler les choses de manière différente. »

Voyez-vous notre époque comme une révolution dans la façon de vivre son intérieur ?

«Oui, on a beaucoup d'opportunités, notamment grâce au numérique. Mais on reste malheureusement dans le conformisme. Je suis de près les écoles de design et je trouve qu'on va moins dans le dépassement des codes aujourd'hui qu'à une certaine époque.»

En France particulièrement ?

«Non, pas particulièrement car aujourd'hui le design suit des codes internationaux. En Belgique par exemple, je trouve que c'est à peu près comme la France.»

Le fait que de plus en plus de gens ramènent du travail à la maison, grâce à Internet entre autre, c'est un facteur important selon vous dans l'aménagement d'intérieur ?

«C'est évident. Ce que j'aime faire c'est faire disparaître les espaces dédiés. Faire tomber les murs et imbriquer les différents lieux de vie afin de gagner de l'espace. Du coup, l'endroit dédié au travail peut se retrouver un peu partout à la maison. Les espaces ‘mono activités' sont obsolètes selon moi. »

Au risque de manquer d'intimité ou de calme ?

«Non car le but est de créer en même temps des espaces et du mobilier modulables. Ce qui permet de regagner de l'intimité lorsque c'est utile. Je ne vois pas l'aménagement intérieur comme quelque chose de statique. Par exemple, une de mes plus importantes création c'est un ensemble modulable qui compose des canapés. Le canapé devient alors plusieurs choses à la fois selon ce que l'on fait de ses modules, y compris une cabane pour les enfants lorsque ces derniers jouent avec. En général, un canapé, c'est extrêmement lourd et statique et cela peut vite figer une pièce. Moi j'aime la vie et le mouvement. Je travaille donc surtout sur la fluidité entre les différentes activités.»

Vous dites que vous aimez la vie, votre travail doit faire la part belle aux contacts inter générationnels alors !

«Complètement. D'ailleurs j'aime les petites chambres afin que le lieu de vie soit partagé au maximum par tous. Les enfants doivent pouvoir jouer dans le lieu de vie principal par exemple. J'aime que les générations partagent des choses ensemble. Vous savez, c'est quelque chose qu'on perd aujourd'hui, le partage, le lieu commun. Il faut réapprendre.»

Un amour de la vie qui se reflète également dans vos choix de couleurs…

«La couleur c'est la vie. Le design moderne a tendance à oublier parfois la couleur, à faire comme si certaines couleurs étaient interdites. Moi, j'aime la personnalisation, à chacun sa palette de couleur. Et vive les associations originales !»

Vous avez travaillé cinq ans avec Philippe Starck, que retenez-vous principalement du personnage ?

«Il n'a pas de notion de limites ! Il a ouvert énormément de portes au niveau européen. Le design a commencé à être un peu plus considéré depuis lui. C'est une des seules entreprises françaises qui a mis le design à la place qu'il devrait avoir.»

Lucie Hage

Qui est Matali Crasset?

Magali Crasset est née en 1965 à Chalons en Champagne. Elle grandit dans un petit village, dans une ferme où le travail et la vie étaient intimement liés. Designer industriel de formation, elle travaillera très vite aux côtés de Philippe Starck avant de créer sa propre structure. Elle se fixe aussi bien sur des projets d'aménagement d'intérieur de grandes envergures que de petits meubles ou objets fonctionnels. Son travail, qui s'est imposé à partir des années 90 comme le refus de la forme pure, se conçoit comme une recherche en mouvement, faite d'hypothèses plus que de principes. Elle est aujourd'hui un des designers français les plus reconnus.