Paul Feig, réalisateur de "Ghostbusters" : "Oui les femmes sont drôles!"

Prendre des risques, Hollywood déteste ça. Un reboot des populaires «Ghostbusters» («SOS Fantômes») semblait donc une option sûre. Seulement cette fois, les personnages principaux sont quatre femmes, et ça, un groupe de fans sexistes l'a mal pris. Les commentaires fétides sur les réseaux sociaux ont mis le réalisateur Paul Feig («Bridesmaids») mal à l'aise, au point de triturer sa cravate, lui qui est tiré à quatre épingles.
par
Gregory
Temps de lecture 6 min.

Était-ce votre idée de remplacer Bill Murray, Dan Aykroyd & Co par une équipe entièrement féminine dans ce reboot ?

Paul Feig: «Oui. Ivan Reitman, le réalisateur des films ‘Ghostbusters' originaux, m'avait appelé pour me demander si je voulais faire une suite. Il y avait même déjà un scénario, mais il ne m'inspirait pas trop. Je voulais le faire à ma manière. Et à ma manière, comme je l'ai compris après un temps, cela veut dire: avec des femmes drôles dans les rôles principaux. J'ai donc proposé à Amy Pascal, la responsable de Sony Pictures à l'époque, de composer une équipe de Ghostbusters exclusivement féminine, et elle a tout de suite dit: ‘Allez-y!'.»

Pourtant, il y a de nombreux studios de cinéma qui pensent que les femmes ne sont pas assez drôles pour mener une comédie et attirer les hommes dans les salles.

«Cela fait des années que j'essaie d'infirmer ces préjugés. Évidemment que les femmes sont drôles. Le problème, c'est qu'elles ne reçoivent pas les rôles qu'elles méritent. Et comme ça, on s'occupe beaucoup trop peu du public féminin aussi - et les hommes ont eux aussi beaucoup trop peu l'occasion de voir à quel point les femmes sont drôles. C'est très frustrant et injuste.»

Lorsque vous avez annoncé le reboot féminin, cela a déclenché une déferlante de réactions venimeuses en ligne. Vous y attendiez-vous ?

«Non. Dans toute mon innocence, je pensais: ‘Qui n'a pas envie de voir un nouveau Ghostbusters?' (rires). Voyez-vous, il y a eu deux sortes de réactions négatives: d'une part, il y avait des fans qui étaient inquiets de ce que j'allais faire de leur grand classique. Là, je peux encore le comprendre, mais ces personnes peuvent dormir sur leurs deux oreilles: nous avons fait ce film avec énormément d'amour pour l'original. Mais d'un autre côté, il y a eu aussi une vague de tweets et de commentaires carrément haineux sur YouTube qui étaient dirigés uniquement contre les femmes. ‘Comment osez-vous faire ce film avec quatre femmes!' Les gens qui écrivent ce genre de choses, souffrent peut-être de traumatismes non surmontés de leur jeunesse, mais ils n'ont qu'à aller les résoudre avec leur thérapeute. Cela m'a surpris en tous les cas: mes autres films ont parfois déclenché aussi des commentaires sexistes, mais un tel venin, je n'avais encore jamais vu ça.»

Dans le film, il y a même des allusions directes à la controverse. Cela signifie quand-même que vous étiez fortement affectés?

«Nous ne pouvions pas nous laisser faire et devions un peu réagir, quand même? (rires) Les commentaires ne nous avaient pas laissés indifférents en effet. Surtout l'actrice Leslie Jones et moi-même, nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux, et cela nous avait toujours laissé un sentiment très positif. Jusqu'à ce que nous entamions ce projet. Là, tout d'un coup, nous avons vu déferler sur nous ces tweets particulièrement méchants, et même obscènes. C'est quelque chose qui vous touche très personnellement, du seul fait déjà que chaque message arrive directement dans votre téléphone. J'étais par exemple en train de prendre mon petit-déjeuner avec ma femme, quand arrivait tout d'un coup un de ces tweets haineux, de quelqu'un que, normalement, je ne rencontrerais jamais de ma vie. Et oui, cela vous touche. Surtout quand vous faites des comédies: je veux rendre les gens heureux. Si quelqu'un vous dit alors qu'il vous hait, c'est difficile de l'ignorer, même s'il y a cent personnes qui vous disent le contraire.»

Le casting d'origine apparaît dans quelques petits rôles. Comment avez-vous convaincu Bill Murray de participer au film? Il est connu pour être extrêmement difficile à atteindre.

«C'est exact! Il n'a pas de GSM ou d'e-mail, seulement un vieux répondeur automatique sur lequel vous pouvez laisser un message. (rires) Maintenant, Bill avait montré très tôt déjà qu'il soutenait totalement ce film. Il avait même suggéré publiquement que je devais choisir Melissa McCarthy et Kristen Wiig, longtemps avant qu'une décision ne soit prise à ce sujet. Je savais donc qu'il était intéressé par le film, et lorsque je l'ai rencontré à une soirée, nous avons eu une agréable conversation. Mais quand je lui ai finalement proposé un petit rôle, il a vite filé à l'anglaise. (rires) Il n'a jamais répondu non plus à mon message vocal. Melissa et quelques autres personnes qui le connaissent bien, ont alors insisté aussi pendant des semaines, mais nous n'avons jamais reçu de confirmation officielle de sa part. Sur le plateau, la grande question était: ‘Viendra-t-il?' (rires) Je m'étais déjà préparé à reprendre moi-même le rôle en cas de besoin, mais cela n'a pas été nécessaire finalement. Heureusement d'ailleurs. (rires) Lorsque Bill est arrivé sur le plateau, c'était un sentiment extraordinaire. Cela représentait énormément pour moi.»

Quel souvenir gardez-vous du premier «Ghostbusters» de 1984?

«J'avais 22 ans lorsque je l'ai vu pour la première fois. J'étais à l'école de cinéma, où tout le monde voulait être Jean-Luc Godard. (rires) Mais j'étais un outsider: je voulais faire des comédies. Lorsque j'ai vu ‘Ghostbusters' et que le public était fou d'enthousiasme, cela a été une sorte de confirmation pour moi. J'ai compris alors que c'était ce genre de film que je voulais faire un jour: une comédie de cette envergure. Ce rêve, je l'ai donc enfin réalisé. (rires

Lieven Trio

EN QUELQUES LIGNES

Vous pouvez ignorer sans problème la controverse sexiste autour du nouveau «Ghostbusters»: elle en dit long sur notre société, mais pas grand-chose sur le talent comique des actrices Melissa McCarthy, Kristen Wiig, Leslie Jones et Kate McKinnon. Le réalisateur Paul Feig et la scénariste Katie Dippold («Les Flingueuses») offrent à ces dames tout l'espace pour improviser, et de temps à autre cela donne des étincelles. Non pas que l'humour soit particulièrement fin, mais ce n'est pas tous les jours que l'on voit des femmes raconter des sales blagues dans un film hollywoodien à très gros budget. Chris Hemsworth est lui aussi hilarant par moments dans le rôle de l'assistant borné, un retournement amusant du cliché de la stupide blonde. Mais il s'agit aussi de redémarrer une franchise (lire: une source inépuisable de revenus de merchandising), et c'est là que le bât blesse. Feig réalise selon ses propres dires un reboot du premier «Ghostbusters» («SOS Fantômes») de 1984, mais nous avons plutôt vu un remake peu inspiré. Hormis quelques clins d'œil postmodernes agaçants, l'histoire est en grande partie un recyclage de l'original, et même pour trouver un titre un peu différent, les créateurs n'avaient manifestement pas d'idées. La chasse aux fantômes du nouveau quatuor ne parvient jamais à captiver, et le final tiré en longueur se noie sous les vilains effets spéciaux. Qu'est-ce que les femmes ont gagné finalement avec ce «Ghostbusters»? Le droit d'interpréter des personnages principaux inintéressants et superficiels dans de pâles copies de grands classiques populaires? Vive l'égalité! (lt) **