Philippe Squarzoni adapte "Homicide" de David Simon en BD

par
Nicolas
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Spécialiste de la BD documentaire («Saison brune»), Philippe Squarzoni adapte le livre «Homicide» du journaliste et scénariste américain David Simon. En 1988, le créateur de la série «The Wire» avait passé un an au sein de la criminelle de Baltimore. Une incursion ultra-réaliste dans le quotidien policier.

Philippe Squarzoni - Ph. Olivier Roller

Qu'est-ce qui vous a séduit d'emblée dans le livre de David Simon?

Philippe Squarzoni : «Ce qui m'a plu dans un premier temps, c'est le contenu, ce qui était raconté de cette année 1988: la description précise et clinique assez empathique et même parfois humoristique du quotidien de ces 19 flics. La deuxième chose, c'est la qualité du livre de David Simon. Si on est rivé à ce livre, c'est grâce à la puissance de son style, sans trop d'effet narratif.»

Pourtant, votre album et le livre original ont une narration particulière...

«Ce n'est pas un récit à la première personne. La narration est faite de mises en scène, de témoignages et de cadrages. Cela aurait pu être une fiction. mais tout est vrai!»

Vous dites avoir été séduit par cette précision documentaire, comment avez-vous travaillé? Avec David Simon?

«Je me suis beaucoup appuyé sur son aide. Nous avons discuté par e-mails, il m'a aidé à composer les visages, les silhouettes pour qu'elles correspondent à la réalité. Est-qu'ils fumaient? Avaient-ils des ordinateurs? En même temps, je savais que le Baltimore de 25 ans n'existe plus. Je n'avais pas assisté à ces scènes. Il ne s'agissait pas pour moi d'un réalisme ultra-détaillé. Il s'agissait d'être juste. Il fallait tendre vers l'exactitude.»

Tout en gardant sa propre patte...

«Je ne suis pas allé à Baltimore, j'irais peut-être une fois le livre fini. Je suis resté dans mon coin après avoir fait le tour de quelques questions avec David Simon. Je ne cherchais pas son aval sur chaque dessin. Comme c'est moi qui signe cet album de bande dessinée, il fallait que je pose ma voix dessus, et ma différence d'une certaine façon.»

Selon vous, ce livre sert-il à démonter un mythe de la police américaine efficace et musclée?

«L'Amérique se met souvent en scène elle-même, et souvent de façon flatteuse et efficace. David Simon montre une autre face de la police: l'absence de moyens, l'absence de compétences et d'intelligence collective de la hiérarchie. Et l'absence aussi d'intelligence des criminels. Leur meurtre n'ont rien à voir avec ce qu'on voit dans Columbo. Ces flics sont confrontés à la misère et à la violence. Ils sont confrontés à un tonneau des Danaïdes de crimes.»

D'où une certaine désillusion...

«Ces policiers le disent: leur boulot n'a aucun sens. Résoudre un crime ou non n'empêchera pas le suivant. C'est cela qui est saisissant...»

Vous parlez d'humour dans ce livre, n'est- pas plutôt de l'ironie voire du cynisme?

«Peut-être un peu d'ironie. Certains de ces flics font preuve de distance, voire d'humour sur les scènes de crime. Sans doute pour se protéger des horreurs qu'ils voient. Je ne pense pas qu'il y ait du cynisme chez David Simon ou de cette ironie post-moderne. Il n'y a pas de chasse aux cons. Il y a la capacité de dire la vérité des êtres, les montrer autant sous leurs bons jours qu'avec leurs défauts. »

EN QUELQUES LIGNES

Pour David Simon, son livre «Homicide» fut la base documentaire de sa série acclamée à travers le monde «The Wire» («Sur écoute» en VF). Ce reportage au long cours au cœur de la brigade criminelle de la police de Baltimore dévoile un quotidien quelque part désabusé de ces hommes de l'ordre qui voient s'amonceler des homicides dans les quartiers troublés de cette Amérique de ghettos noirs. Philippe Squarzoni met en image la description chirurgicale de Simon par un dessin contrasté en bichromie. Il joue sur ses mises en page, joignant le regard extérieur à la scène et le ‘close-up' au plus près de ses personnages. Passionnant, le récit -qui comptera cinq tomes- traduit l'incapacité d'un système à véritablement combattre le crime, peut-être à le rendre moins injuste quand il frappe les moins pourvus de cette société américaine. Si ce témoignage compte déjà un quart de siècle, les événements récents (dont des bavures policières) nous confirment que les clivages socio-économiques, liés à des problèmes raciaux profonds, n'ont toujours pas trouvé de solutions.

«Homicide. Une année dans les rues de Baltimore - t. 1: 18 janvier- 4 février 1988», de Philippe Squarzoni, éditions Delcourt, 128 pages, 16,50€ ****

Nicolas Naizy